Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Sujets sur le Sénégal

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:29 pm

Qui sème le ventre...
Souleymane Jules Diop Jeudi 17 Avr 2008

« C’est un grand avantage dans les affaires
de la vie que de savoir prendre
l’offensive : l’homme attaqué transige toujours »
B. CONSTANT


Il souffle sur le pays un vent de révolte qui, s’il n’est pas maîtrisé, n’épargnera personne, pas même ceux qui pensent qu’ils sont très en sécurité dans leurs terrasses fortifiées. Les météorologues de la politique ont tous donné un avis de tempête. « On ne sait pas quand, mais ça va venir », a dit un historien. Mais c’est déjà venu ! A quoi assistons-nous depuis quelques semaines ? A une chasse à l’homme entre accusateurs et accusés. On ne se cache plus pour proférer des menaces de mort, et quand on possède un fusil, on le brandit publiquement. C’est la meilleure arme de dissuasion massive. Et ces gens ont raison. On ne peut pas s’armer de patience quand on a comme voisin Clédor Sène et Assane Diop. Soyez d’accord avec moi, pour beaucoup moins que ça, Barthélémy Dias avait été jeté en prison. Les limiers avaient perquisitionné son domicile dans des circonstances qui frisaient le banditisme d’Etat. Maintenant que le responsable des Jeunesses socialistes avoue qu’il a son arme sous l’oreiller, on le laisse dormir en paix. Il a suffi qu’il dise sur les ondes des radios que son ami Malick Seck aussi a un pistolet pour que ce dernier soit libéré dès le lendemain. Depuis qu’à la tête de jeunes très déterminés il a menacé de mettre le feu au pays si leur marche est interdite, la police traite Barthélémy Dias avec tous les honneurs, sur ordre sans doute « d’en haut ». Il y a juste un an, ses propos distillés dans tous les médias auraient été accueillis avec des cris d’indignation et de réprobation. On loue maintenant le courage de ce jeune homme devenu à lui tout seul le front de libération nationale. Si Barthélémy Dias défie l’autorité de cette façon, c’est qu’il n’y a plus d’autorité. On ne peut pas laisser dans la nature des muchachos qui menacent ouvertement de mort d’humbles citoyens, et reprocher à ces citoyens le droit de trouver les moyens de leur défense.

Dans un pays qui se respecte, le porte-parole de la police ne fait pas un communiqué pour dire d’un citoyen menacé publiquement de mort, qu’il fait « de la diversion ». Un Etat cesse d’exister quand il cesse d’exercer le monopole de la violence. Ce qui fait que nous soyons en République, c’est que quand le voisin nous cause du tord, nous nous en remettons à une Justice et à une force qui, parce qu’elle est publique, elle est là pour tous. Elle est morte depuis longtemps cette Justice, et nous assistons impuissants à son enterrement.
Que s’est-il donc passé ? Rien, si ce n’est l’affaissement du socle républicain sur lequel nous étions assis. Une vendetta d’Etat comme celle qu’avaient menée les hommes d’Ousmane Ngom dans les locaux de Walf-Tv laisse la place à une vendetta populaire. Ce sont des citoyens ordinaires qui deviennent les justiciers de leurs propres causes. Il n’y pas une définition plus précise de qu’on peut appeler une révolte populaire, et c’est ce à quoi nous assistons depuis quelques temps. Ca n’arrive pas, c’est déjà arrivé. L’Etat a foutu le camp. Ceux qui agissent en son nom sont des groupuscules mafieux qui ne font plus peur à personne malheureusement. Nous en sommes arrivés à un tel degré de déliquescence que la parole présidentielle ne vaut plus rien. Après nous avoir demandé de patienter jusqu’en 2015, le chef de l’Etat nous demande de nous en remettre à Dieu : « aucune manifestation ne peut régler les problèmes, il faut que les gens retournent à Dieu, et nos problèmes seront réglés ». Voilà Abdoulaye Wade tout recraché, avec sa mauvaise foi qui ne le quitte jamais.

La situation de pauvreté et de misère que nous vivons n’est pas nouvelle. Depuis huit ans, la priorité a été donnée au train de vie princier du président de la République et de ses courtisans. Ce qui est nouveau, c’est que même ses supporteurs du 25 février ne peuvent plus supporter son arrogance. Ce n’est pas une simple question de « contexte mondial ». Ce pays a vécu dans son histoire des situations beaucoup plus difficiles. Quand la souffrance peut se justifier, elle devient une épreuve de sanctification. Mais ce qui est insupportable, c’est l’injustice qui s’ajoute à l’extrême pauvreté des ménages. Le président de la République a gaspillé les ressources du contribuable comme jamais personne ne l’a fait. Des centaines de véhicules de l’Etat ont été offerts à des particuliers pour en acheter d’autres, son avion a été réfectionné à coups de milliards pour rien, des dizaines de millions offerts aux militants pour leur transport. L’année dernière encore, le président de la République a « offert » 400 VUS à des présidents de communauté rurale dans les villages lointains où il manque de l’eau potable. A cela s’ajoute le doublement du salaire des ministres et des députés, des officiers supérieurs de l’armée, la création du Sénat, le retour du Conseil économique et social que rien ne peut justifier. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les 40 chefs de parti qui le soutiennent dans son entêtement sont entretenus avec l’argent du contribuable. Sur tout cela, il n’est pas capable de la moindre comptabilité.

Il n’y a rien pour raisonner Abdoulaye Wade. Il vient de persister dans la bêtise, en faisant étalage de l’immensité de sa richesse à l’occasion du décès d’Abdou Latif Guèye. Je ne reviendrai pas sur les propos irresponsables prononcés à cette occasion. Car dire qu’on l’a trompé sur Latif Guèye, c’est avouer qu’il l’a lui-même mis en prison. Mais ce qui est inadmissible, c’est l’étalage de richesse auquel le président de la République se livre quand il va à des funérailles, avec des promesses qu’il ne tient jamais. Vous imaginez ? Onze millions pour célébrer un deuil. Pardonnez-moi cette indécence. Mais c’est une insulte aux gens qui survivent dans les campagnes que de donner autant de millions à un mort. Cet homme a cette mauvaise habitude de ne rencontrer ses anciens compagnons qu’à la morgue et de les habiller de superlatifs.
Le président de la République ne donne malheureusement pas l’impression de prendre conscience de l’ampleur des dégâts. Il a encore traîné sa cinquantaine de collaborateurs à la Mecque, toujours aux frais du contribuable. Abdoulaye Wade est le seul chef d’Etat à se rendre à la Mecque avec sa horde de conseillers deux fois par an, tous frais payés. Aucun pays, soit-il le plus riche du monde, n’aurait pu supporter son train de vie dépensier. Pas même le roi d’Arabie, qui doit se poser des questions sur la fréquence de cet homme sur ses terres. Je l’ai entendu dire à des journalistes d’une radio étrangère qu’il va faire cette année « le tour des Caraïbes ». C’est exactement ce qu’il a dit, « le tour des Caraïbes », pendant que le pays entier souffre de la hausse des prix des denrées. N’importe qui à sa place aurait fait preuve d’un minimum de bon sens. Pas lui. Voilà des années qu’il nous promet des bateaux de pétrole. Il y en a deux qu’il a annoncé il y a deux ans, venant de Malabo et de Tripoli. C’est seulement ce mercredi qu’il découvre que les pays membres de l’Opep n’ont pas le droit de « donner » leur pétrole ! Peut-être qu’il nous révèlera un jour son secret de fabrication. Il dépasse toujours nos prévisions.

Un collaborateur du président de la République attirait justement l’attention de Pape Samba Mboup sur la hausse du prix de l’essence, pour une fois qu’il tentait d’avoir avec le ministre chef de cabinet un débat élevé au-dessus du bas-ventre. Il lui a rétorqué que le litre de super « coûte moins cher que le litre de vin rouge ». Il faut être poilu partout pour tenir de tels argumentaires. Mais ce sont des gens de cet acabit qui décident tous les jours de notre avenir. Ils n’entendent pas les cris de désespoir venus de Diakhao et de Niakhar. Si dans le berceau de la royauté sérères, ces dignes paysans crient famine, c’est qu’il y a lieu de prendre très au sérieux la situation du pays. C’est vous dire combien il serait dangereux de réduire cette grave crise à un phénomène urbain qu’on peut régler en baissant le prix du loyer. C’est une façon stupide de libérer Abdoulaye Wade d’une charge qu’il doit supporter pour la faire porter à d’autres. Nous avons raté l’occasion de lui signifier un non clair et précis le 25 février 2007, mais ça ne lui donne pas droit à tous les excès.

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Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:30 pm

La cheap thérapie
Souleymane Jules Diop Jeudi 24 Avr 2008

« Voilà l’homme tout entier s’en prenant
à sa chaussure, alors que c’est
son pied qui est responsable »
Samuel BECKET




Il y avait de bonnes raisons de s’inquiéter de la vitesse avec laquelle la situation du pays se détériore. Il y en a une nouvelle, sans doute plus alarmante : c’est la désinvolture avec laquelle le président de la République change tous les jours de problèmes et de solutions. Hier il ne voulait pas de l’aide internationale, aujourd’hui il en demande à l’Inde. Hier il annonçait la production de 500 000 tonnes de riz par an, il veut maintenant en importer 600 000 par an. Tout ce qu’il dit la veille ne l’engage pas le lendemain. Mais ceux qui croient à ses cargaisons de riz indien doivent tempérer leur enthousiasme. Ce que Wade évoque comme une solution est une partie du problème. L’Inde est à l’origine de la flambée du prix du riz sur le marché depuis sa décision prise en octobre 2007 d’interdire ses exportations de riz, à l’exception du Basmati, hors de portée des ménages. Les autorités indiennes avaient une bonne raison de le faire. La production mondiale a encore baissé en 2007, menaçant de faire de ce deuxième producteur mondial un importateur de riz. C’est par mesure de sauvegarde que l’Inde a décidé d’arrêter ses exportations, pour répondre aux besoins de son milliard de consommateurs. Mais il y a derrière cette décision des arrière-pensées financières que les autorités indiennes n’ont jamais cachées. En bloquant les exportations, les Indiens ont provoqué une grande spéculation sur les céréales qui profite à tous les grands producteurs. Ils ont créé l’Opep du riz, exactement dans le même scénario que celui de 1973, et d’autres pays vont bientôt les rejoindre.

L’Inde ne peut pas, alors que le prix du riz atteint 1000 dollars la tonne sur le marché mondial du fait de sa rareté, nous promettre 600 000 tonnes tous les ans et à des prix préférentiels. Ce ne sont pas des décisions qui se prennent sur un coup de téléphone. Le riz indien n’appartient pas à l’Etat indien, il appartient à des producteurs indépendants qui vendent au plus offrant. Aux Etats-Unis, les grands distributeurs ont commencé le rationnement du riz, vendu au compte-goutte et à un prix élevé. Le Brésil a décidé mercredi de suspendre ses exportations pour les mêmes raisons, satisfaire ses besoins intérieurs et prévenir toute pénurie sur le marché. Penser un seul instant qu’on peut indiquer à ces producteurs la destination exclusive de leur riz relève d’une grande naïveté. Penser qu’assurer 600 000 tonnes au Sénégal pendant 6 ans peut se décider sur un simple coup de fil relève de l’enfantillage.

Maître Wade voit parfois la vie avec les yeux d’un enfant. Il y a deux ans, il est revenu d’une tournée mondiale avec la promesse de bateaux pleins de pétrole, dont deux « avaient » déjà pris le chemin de Dakar. Je ne doute pas de sa bonne foi. Mais ce qui inquiète, c’est le temps qu’il a fallu à cet économiste émérite qui rappelait la semaine dernière à des journalistes français qu’il était « doué en maths sup », pour savoir que les Etats membres de l’Opep ne peuvent pas donner gratuitement leur pétrole. Il avait, avec la même légèreté, en présence d’experts venus de toute l’Afrique, annoncé qu’il ferait du Sénégal un exportateur de pétrole « dans quelques mois ». Ce qui fait croire au président de la République que tout lui est possible, du règlement du problème palestinien à l’invention de la « Wade formula », c’est l’illusion de sa toute puissance. Il nous mène en bateau. Et, personne ne doit le souhaiter, mais il nous mènera au naufrage. Évidemment, on ne peut pas juger le président de la République et absoudre le « grand ingénieur » qui lui prodigue ses conseils avisés en matière financière. Karim Wade est le complice de cette marche inéluctable vers les abîmes. Et au moment où le pays subit les conséquences de huit années de cabotage hasardeux, il est caché dans son petit paradis, pour laisser passer la tempête. Quand il fera plus beau, on le verra de nouveau en costume et lunettes de soleil entouré de ses gardes du corps.

On croyait Abdoulaye Wade un vendeur de rêve. C’est un vendeur d’illusion. Le rêve procède de quelque chose de plus noble, il nait d’une vision. L’illusion procède d’un aveuglement. Il n’y a rien dans son plan Goana qui tienne. Il avait floué les égyptiens en 2004, en leur faisant croire qu’il avait 500 mille tonnes de Maïs, sur un objectif fixé à un million de tonnes. Quand les égyptiens sont venus lui acheter sa production, ils se sont rendu compte que nous n’avions même pas produit le quart. La réalité est que la production céréalière du Sénégal a baissé de façon vertigineuse depuis 2000, du fait d’une politique agricole hasardeuse.

Il ne faut pas souhaiter le pire quand il y a déjà le mal. Mais au rythme où vont les choses, sa Goana sera de la pure agonie. Nous n’avons pas les moyens financiers de juguler cette crise. Nous ne pouvons rien contre un kilogramme de riz à un dollar américain. Mais nous pouvons la rendre moins insupportable. Le président de la République parlait de l’organisation de semi pensions dans les écoles. Ce n’est pas impossible. Avec 5 milliards de francs, il est possible de faire manger un sandwich par jour à 50 000 jeunes des écoles Primaires et secondaires pendant 200 jours dans l’année. C’est un bon moyen de mesurer la portée que peut avoir sur le destin de ce petit pays la décision de détourner les 7 milliards offerts par Taïwan pour les placer dans un compte à Nicosie.

Il y a des choses simples qui sont encore faisables. Rien ne justifie la taille gigantesque de notre gouvernement. Si la France peut vivre avec 15 ministres et les États-Unis avec 14, je ne vois pas pourquoi ça nous ferait du mal. Nous avons un Sénat inutile et des sénateurs payés à ne rien faire. Ce serait courageux de reconnaître l’impasse dans laquelle nous sommes engagés, et faire marche arrière sur ces questions comme sur l’augmentation du nombre de députés. On ne verra malheureusement jamais Abdoulaye Wade se remettre en question. Il aura toujours une solution à lui. Tout le monde a tort à ses yeux. Le Pam a tort, la Fao a tort, les Ong ont tort, l’opposition a tort. S’il y a un des aspects positifs à cette crise, c’est de révéler enfin cet homme au monde entier. Aller d’une si grande fascination pour l’opposant à un si grand mépris pour le président de la République a quelque chose de tragique. Il n’a de son pouvoir que la crainte de le perdre. Tous ceux qui le menacent sont des ennemis. Nous l’aurions pris pour un martyr s’il n’avait pas été président pour se révéler sous ses véritables traits. L’issue de cette grande aventure que nous avons tentée il y a 8 ans est catastrophique. Le sort de cet homme l’est encore plus. Il joue son propre sort, dans sa propre tragédie. Mais le plus grand mal, Wade ne l’a pas fait aux adultes qui ont fini d’espérer. Il l’a fait aux enfants et aux jeunes, qui n’ont plus aucune raison d’espérer. Les crises d’hystérie sont des crises d’angoisse. Les enfants portent dans leurs sacs à dos la misère de leurs parents. Il y a quelques années, Lamine Guèye était le fleuron de la moyenne bourgeoisie. Les enfants y mangeaient en cantine, s’ils n’habitaient pas dans les maisons environnantes. Cette classe moyenne s’est effondrée pour laisser un trou béant entre les nantis et les autres. Les crises d’hystérie ont atteint les régions, preuve que la misère s’est elle aussi généralisée. Vous ne verrez jamais parmi ces enfants hystériques les protégés du nouveau régime. A la question de savoir comment mettre fin à ces crises d’hystérie dans les écoles, le psychologue Serigne Mor Mbaye vient de proposer une solution originale : organiser des séances de « Ndëpp » dans les écoles ! Cette « cheap thérapie » aurait pour effet de chasser le diable des écoles. Mais c’est de la présidence qu’il faut le chasser !

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:31 pm

L’héritier de Mugabe
Souleymane Jules Diop Vendredi 2 Mai 2008

« Tant d’énergie est dépensée pour
que tout soit bien immobile »
B. WERBER



Nous sommes si habitués à la sottise ordinaire, que la bêtise ne nous émeut plus. Nous vivons avec comme un fait de culture. Mais ce qui s’est passé entre Awa Ndiaye et Aminata Lô méritait plus qu’une petite lucarne dans la section des petits faits divers. Le président de la République ne peut pas non plus traiter cette affaire grave comme s’il s’agissait d’une querelle de ménagères à la borne-fontaine. C’est la crédibilité de tout son gouvernement qui est engagée. Si Abdoulaye Wade veut montrer que la charge ministérielle a ses exigences, il en a l’occasion. Il ne le fera pas, parce qu’il n’en a plus l’autorité. Depuis leur nomination au sein du gouvernement contre les avis de tous les enquêteurs, ces deux femmes se sont mises au service de la nébuleuse Génération du concret au lieu de se mettre au service de l’Etat. Elles ont toutes les deux la particularité d’appartenir à la cavalerie étrangère, prête à être montée en tout temps. Aucun passé glorieux, aucun mérite, si ce n’est celui d’avoir croisé un jour le chemin de Cheikh Tidiane Gadio et de Karim Wade.

Et croyez-moi, elles auront les félicitations personnelles d’Abdoulaye Wade au prochain Conseil des ministres. L’ordre ancien, constitué des amazones de la première heure, a laissé la place au nouvel ordre féminin à la vue aussi courte que la jupe. On ne va plus en Conseil des ministres pour rendre compte de l’état des dossiers et coordonner les activités gouvernementales. Cette rencontre du jeudi est devenu un défilé incessant de sacs à main Versace et de lunettes de soleil Coco Chanel. Celles qui l’ont le mieux compris y vont en grand boubou de soie et en porte-jarretelles pour séduire « le professeur ». Depuis l’apparition du silicone et du bistouri en Conseil des ministres, l’ordre protocolaire a changé. L’esthétique et le genre ont pris le dessus sur la rationalité et l’efficacité gouvernementales. C’est pourquoi les enquêtes de moralité n’ont plus aucune importance. C’est le « concret » qui compte ou le... comptant.

Ce que la Salle des banquets offre et que la salle du Conseil des ministres n’offrait pas c’est ce face-à-face possible qui permet au président de la République de dire, comme arraché à profonde méditation, « mais où sont mes femmes » ? Les convictions féministes d’Abdoulaye Wade sont très encrées. Le 03 juillet 2003, à son retour du sommet de l’Union africaine, il avait profité d’une question sur la présence des femmes dans les instances de l’Ua pour féliciter les femmes de son gouvernement qui venaient lui « poser des questions », ce que les hommes ne faisaient pas. C’est ce qui arrive quand le président de la République chante les mérites d’une « certifiée en cosmétique » et traite des licenciés en droit diplômés de l’Enam de « nuls ». C’est ce qui fait qu’une Aminata Lô, sortie des usines de fabrique de la Génération du concret avec son « deug » en pharmacie, est plus digne d’éloges que le « licencié » Moustapha Niasse. Ousmane Sèye a raison de tirer la sonnette d’alarme après les sorties remarquées du jeune Massaly et de Pape Samba Mboup. Mais l’assèchement intellectuel est un fait ancré chez les libéraux. Pape Samba Mboup est devenu une voix autorisée au sein de cette République. Les journaux ont une fois relaté, briefés sans doute par les gendarmes de faction à la présidence, que le ministre chef de cabinet voulait s’y introduire avec une prostituée. Mais là où je trouve les journaux injustes avec Pape Samba Mboup, c’est de ne s’être pas interrogés pour qui il faisait entrer cette prostituée à la présidence, puisqu’il n’y avait pas de chambre, et n’y avait pas élu domicile. Il y a une grande urgence à ramener l’éthique au cœur de la République. Cette course à la morale de caniveau ne peut pas continuer. Mais tous ces gens à la morale à un franc ont trouvé en Abdoulaye Wade un homme comme eux. Personne n’était jamais allé aussi loin dans le sacre de la bêtise. Tout ce qu’ils ont besoin de savoir, et qu’ils apprennent avec rigueur leur premier jour de classe, c’est « traduire la vision du président de la République ». Mais le président de la République n’a pas une vision, il a une illusion.

Il y a une semaine, c’est Farba Senghor qui donnait des leçons de réalisme gouvernemental à l’ancien « premier-ministrable » Sourang. Un mois auparavant, c’est Cheikh Tidiane Gadio qui étalait au grand jour ses conflits avec le tout puissant Karim Wade. Le gouvernement ne fait plus rien. C’est Karim Wade qui règle les accords avec Dubaï, qui se retrouve le lendemain aux Ics pour annoncer la recapitalisation de l’entreprise. Une indécence de plus, après les misères que son ami Godard a causées à ces pères de famille. Là aussi, Ousmane Ngom arrive en organisateur. La machine à fabriquer les cartes nationales d’identité pour laquelle il avait facturé le contribuable 26 milliards de francs Cfa est en panne. Depuis un mois, le Sénégal ne produit plus de carte d’identité, la merveille « De la rue » et des enfants de Cheikh Tidiane Sy.
J’avais écrit dans ces mêmes colonnes qu’Adjibou Soumaré ne nous apporterait rien de bon. J’ai essuyé les critiques de tous ceux qui voyaient en lui un « grand commis de l’Etat ». A ce niveau de la République, il faut avoir du caractère. Cet homme n’en a pas. Il faut savoir dire non à Abdoulaye Wade quand il le faut. Cet homme ne le fait jamais. Il avait le bon profil pour nous laisser aller à la catastrophe sans broncher. Il dirige maintenant de petits voyous qui travaillent chacun à son propre compte en banque. Tous les jeudis, Abdoulaye Wade les réunit pour des séances jubilatoires, avec son orgie de réformes en tout genre : tantôt du manioc, tantôt du tabanani, tantôt du bissap. Pour briller sur tout le monde, il faut avoir une bande de médiocres. Parmi les rares qui peuvent se prévaloir d’une certaine expérience, il y a deux catégories : ceux qui comme Abdoulaye Diop et Cheikh Tidiane Gadio, veulent partir, pour ne pas être comptables de cette fin de règne tragique. Les autres, Djibo kâ et Abdourahim Agne, veulent y rester, mais le Sopi qu’ils avaient combattu hier ne veut plus d’eux. Changer ce gouvernement est de la plus grande des urgences. Mais pour mettre qui ? Pour la première fois, entrer dans un gouvernement d’Abdoulaye Wade ne suscite aucun intérêt, aucune passion. Comme si espérer nous était devenu impossible. C’est l’inconvénient d’avoir suscité trop d’espoirs et fait trop de promesse sans en tenir une seule. Ce plan Goana chanté sous tous les toits sera malheureusement sans aucun effet. Parce qu’il est le premier à ne pas y croire. On ne peut pas passer de 40 000 hectares de terres aménagées à 240 000 en un clin d’œil. Et tous les experts savent que la production de riz ne devient rentable qu’à partir de quatre tonnes à l’hectare. Il n’y a aucun producteur de la vallée qui fait plus de deux tonnes à l’hectare. Si ce riz venait à être produit, son prix de revient serait tellement élevé qu’il serait hors de portée des ménages. Toutes ses réformes engagées en grandes pompes finissent en eau de boudin. Il va permettre à des clients du régime de s’enrichir, et au pays de s’endetter davantage. La politique et le calcul sont chez cet homme deux faces d’une même raquette. Tout ce qu’il cherche à régler, c’est le mécontentement, pas les causes du mécontentement : distribuer un peu de riz aux paysans, des véhicules aux mouvements associatifs, en pensant qu’ils vont se taire et le laisser régner. Il vient de rééditer le coup avec les syndicalistes, en les gavant d’argent pour les diviser. Tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre implacable seront pris pour des ennemis, même dans son propre camp.

L’histoire est tellement remplie d’ironie. Il y a une dizaine d’années, c’est au nom d’une grande offensive agricole que Robert Mugabe a chassé les grands propriétaires de leurs terres pour les distribuer, disait-il, « au peuple ». Ce dictateur sans vergogne a conduit son pays à la ruine totale. Il est devenu l’ami intime d’Abdoulaye Wade, le seul qui lui reste. S’il y a une grande offensive à mener, c’est contre ce régime qu’il faut la mener.
SJD

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Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:33 pm

Les incuries d’Augias
Souleymane Jules Diop Jeudi 8 Mai 2008


« La guigne ne s’acharne que sur la bêtise »
Jules RENARD




Après avoir suscité la consternation dans le monde des organisations internationales, c’est la pitié qu’Abdoulaye Wade inspire. Voilà ce qu’il mérite : de la compassion. Il doit être très douloureux de descendre aussi bas qu’il le fait, quand on occupe une position aussi élevée que celle de « président de la République ». Wade aimait rappeler à ses visiteurs du soir qui élevaient le ton que « n’oublie pas que je suis le président ». Il ne l’aura jamais été finalement, de tout son règne. Toujours dans les bois, en train de chercher le petit fagot. Voilà un homme qui accuse tous les jours la solitude de l’habiter, et qui ajoute tous les jours de nouveaux ennemis à son voisinage. Je ne veux pas dire que les accusations portées contre la Fao ne sont pas fondées. C’est une mauvaise prose pour une bonne cause, celle de la réforme. Mais tout le monde connait ce professeur de vertu. Il ne se sert jamais de sa science. Cette réforme, nous l’attendons depuis 8 années dans notre propre pays, dans nos propres institutions. Que l’argent des sénégalais aille aux sénégalais, et pas dans les poches de quelques politiciens véreux. Mais le président de la République fait maintenant feu de tout déboire. Tout le monde est coupable, ou plus coupable que lui. Le pauvre Jacques Diouf est devenu, à son corps défendant, son bouc émissaire principal. Les Ong, des ventouses posées sur le dos des Etats africains, qui sucent tous les financements et les détournent dans des dépenses de fonctionnement inutiles. Cette accusation est en partie vraie, mais elle n’est pas tout à fait juste. Je suis choqué par les publicités d’Ong qui inondent les télévisions occidentales. Je sais que toutes les sommes récoltées ne vont pas aux enfants « affamés » d’Afrique; que tous les enfants africains ne sont pas des affamés; que tous les enfants affamés ne sont pas des africains.

Mais à quoi bon ramener ce débat sur la Place publique ? Il est d’autant plus inutile que les Ong empruntent des circuits de financement complètement différents des modes de financement traditionnels des pays du tiers monde. Elles ne peuvent pas gêner les Etats, elles ne peuvent que les accompagner. Durant les années d’ajustement structurel marquées par le désengagement de l’Etat de secteurs vitaux comme l’Education et la Santé, ces organisations ont joué un important rôle d’appoint. Le procès en sorcellerie qu’on leur intente est malhonnête et injuste. Le président de la République aime bien afficher son populisme aseptisé, mais il a tort de le faire.
Abdoulaye Wade a lui-même survécu et le Pds avec, grâce aux Ong. Il avait, au début des années 80, lancé l’Institut sénégalais d’éducation pour la formation et l’information, ISEFI. Le Pds n’a jamais formé, encore moins informé personne, mais son institut recevait 20 millions tous les mois, gracieusement versés par la Fondation Naumann. C’est grâce à ces financements que Wade a cessé de travailler et fermé son cabinet de la rue Thionk. Quand Fournier, le représentant de la fondation à Dakar a bloqué les financements suite à des accusations de mauvaise gestion, il a été violemment pris à partie et prié de quitter le Sénégal par les escouades du Pds. L’entrée de Wade dans le gouvernement dit « d’union » n’avait pas d’autre explication. Le Pds n’avait plus d’argent. Mais jusqu’à la fin des années 90, il continuait de vivre des petites miettes que lui donnaient des Ong comme le CRDI où était un certain... Jacques Habib Sy ! C’est vous dire la malhonnêteté qui entoure ce sujet. C’est un pirate des mers qui se noie. Il est prêt à s’agripper à tout, même à une planche pourrie. Il crie sous tous les toits qu’il n’y a pas de famine au Sénégal, que jamais de son vivant il ne demandera de l’aide à la communauté internationale. Mais dès qu’il reprend ses esprits, il prend des haut-parleurs pour accuser la Fao de non-assistance. Je connais toute l’admiration que Jacques Diouf éprouvait pour le « leader tiers-mondiste ». Il admirait Wade, et Wade le méprisait. Mais la Fao est sans doute loin d’être responsable de la situation catastrophique que vivent les Sénégalais.

Au moment où les populations ont besoin de leurs administrations locales pour faire à une situation inédite, le président de la République les décapite une à une. C’est le comble de ce remue-ménage. S’il demandait à tous les Maires de se rapprocher de leurs administrés pour connaître leurs besoins, les populations auraient applaudi. J’ai toujours soutenu dans ces colonnes que la fonction de Maire est une fonction à temps plein. Au Sénégal, les salaires ne sont pas payés au mois, ils sont payés à l’heure de travail. Je trouve inadmissible qu’Idrissa Seck soit payé à passer du bon temps avec sa famille à Compiègne. Depuis qu’il a été élu Maire il y a 5 ans, l’ancien Premier ministre n’a participé qu’à deux réunions. Son remplaçant immédiat est malade depuis deux mois, et la Municipalité peine à fonctionner normalement. Mais le président de la République est le premier responsable des dysfonctionnements de nos Municipalités. Quand il est arrivé en 2000, il a porté des indemnités mensuelles de 45 000 francs Cfa à 800 000, et fait voter une loi qui permet le cumul des fonctions et des mandats. C’est ainsi que cette fonction sacerdotale qu’on embrassait pour servir est devenue la convoitise d’affairistes de la trempe de Maniang Faye.
Mais le problème des Mairies n’est pas un problème d’homme, c’est un problème structurel lié aux lois qui régissent leur fonctionnement. Je disais il y a un mois ma stupeur quand j’ai vu que dans le nouveau budget de la région de Dakar, un milliard est consacré au fonctionnement, et 200 millions aux investissements. C’est comme si vous payiez à un entrepreneur le prix d’un château pour vous creuser un trou de serrure. Je comprends que des gens dont la carrière est de faire la politique se tuent pour occuper ces fonctions. Elles donnent droit aux indemnités de fonctionnement, aux contrats juteux et aux... emplois fictifs.

Malgré tout, je trouve tout de même injuste qu’on veuille régler des comptes politiques par des moyens illégaux, en prétextant des « blocages ». Surtout qu’au même moment, aucune réponse n’est apportée au blocage du Parlement, qui fait face à un, vide juridique étonnant. L’Assemblée nationale et le Sénat fonctionnent dans une parfaite absence de textes réglementaires. Les lois entrent en vigueur sans être promulguées, appliquées aux citoyens sans la moindre publication dans le journal officiel. Eh bien, il faut mettre de l’ordre dans ce poulailler où s’échauffent deux coqs de basse-cour, avant de s’attaquer aux privilèges des petites gens.

Je ne sais pas si Abdoulaye Wade se rend bien compte de la fierté avec laquelle chaque élu porte son élection qu’il tient jalousement de la population locale, de la petite indemnité des petits montants récoltés par le percepteur. Il ne doit pas se rendre compte des centaines de familles à l’échelle nationale qu’il envoie injustement au chômage, pour coller aux ambitions de son fils. C’est ce mythe local qu’il est en train de détruire avec son alchimie de politicien. Les municipalités ont toujours été des lieux où justement le parachutage n’a jamais marché. Les conflits électoraux ont souvent fini dans des bains de sang, parce que les populations tiennent à leurs terroirs et à ceux qui en sont le symbole. Ca, le président de la République ne le sait pas, parce qu’il n’a jamais été un élu local. Vouloir imposer des inconnus comme il avait voulu le faire en envoyant Abdou Fall à Thiès et Lamine Bâ à Louga est une sorcellerie de mauvais goût. Un Conseil municipal, c’est une Assemblée d’élus. Ce ne sont pas des flagorneurs parachutés de Dakar pour administrer des inconnus.

C’est pourquoi il reçoit toujours des rapports qui lui disent ce qu’il veut entendre : le pays va bien, il n’y a pas de famine. Vous avez entendu les déclarations de son ministre de la Communication à la télévision française ? La majorité des sénégalais crie famine, et le porte-parole du gouvernement l’accuse de trop manger. Qui a dit ça ? Aziz Sow, un ancien membre de la section sénégalaise de la IVe internationale élevé sous Trotsky, désidéologisé sous Wade. Les Sénégalais ne voudraient pas assez de riz, ils en voudraient trop, et passeraient des heures à en manger ! Mais croyez-moi, cette incurie, il la tient de son maître. Cette semaine, ils étaient en fête à Sorano. La semaine prochaine, ils s’en iront tous à Paris fêter en grandes pompes « la vie et l’œuvre de Wade » . Peut-être l’occasion de revisiter cet homme. Professeur, il a déserté l’université. Avocat, il a déserté le barreau. Député, il a déserté l’Assemblée nationale. Ministre d’Etat, il a déserté les ministères. Voilà que nous en faisons un président, et il exerce son mandat à l’étranger.
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:34 pm

Une vie pour le fric
Souleymane Jules Diop Jeudi 15 Mai 2008

« Quand vous êtes avec des gens qui eux-mêmes
ne respectent pas la démocratie, si vous respectez
la démocratie, vous devenez le dindon de la farce.
J’ai toujours dit que je suis dans le gouvernement
quand il est dans la légalité. Quand il sort de la légalité,
je sors de la légalité »
Abdoulaye WADE


Personne n’avait jamais fait ça. Personne, dans l’histoire contemporaine, n’a jamais été aussi loin dans la célébration loufoque. Aucun chef d’Etat n’a jamais, pour dédicacer un livre, barré des routes, convoyé des nervis pour se protéger de la clameur de ses propres citoyens. Sous le régime socialiste, les nervis voyageaient dans des cars Ndiaga Ndiaye, c’était à la mode. Sous Wade, ils voyagent en première classe avec passeports diplomatiques et frais de mission. Personne avant ce 14 mai ne s’est barricadé derrière de hautes murailles pour « fêter » un livre, présenté comme « l’histoire d’une vie ». Ce n’est pas une biographie. C’est un entretien lassant de plusieurs années dans lequel Abdoulaye Wade s’ouvre des boulevards entiers, sans obstacle, sans limite de vitesse ni dans la pudeur, ni dans l’ostentation. Parfois, quelques petites questions, pour ne pas gêner la feuille de route du caravanier solitaire. Les français, heureux de commercer avec l’une des dernières curiosités de l’ancienne colonie, ridiculisent Abdoulaye Wade sur 445 pages : « vous avez démocratisé leur vie politique, mais avez-vous suffisamment amélioré leur quotidien » ? C’est le genre de questions que les deux missionnaires posent à l’ancien tirailleur colonial, fier de comparer les traditions de son pays à celles du moyen-âge français. On croirait certains passages tout droit tirés de « Tintin au Congo ».
Ce qui est sidérant dans cet exercice, c’est que cet homme, qui se présente comme un grand travailleur, prend congé de ses citoyens pendant une semaine, pour célébrer un livre entretien. Il organise sa fête un jour ouvrable sans aucune raison apparente, si ce n’est pour combattre l’ennui d’un pouvoir déchu.

Que les journalistes servent d’antalgique à la douleur d’Abdoulaye Wade est un fait connu. Depuis qu’il s’est fait réélire le 27 février 2007, il a décidé de ne plus adresser la parole à ses « ennemis » journalistes. Il a refusé de les accueillir à Paris pour une raison différente : le président de la République ne veut pas faire parler de la nouvelle résidence réfectionnée à 6 milliards Cfa aux frais de l’Etat, dont 200 millions pour le gazon. Ce serait un peu trop, pendant que ses sujets souffrent.

Ce que je trouve injuste, c’est la malhonnêteté avec laquelle le chef de l’Etat s’en prend à Abdou Diouf qui. Malgré ses défauts, l’ancien président a fait preuve d’une grande élégance, en laissant libre cours au jeu démocratique qui a rendu possible l’alternance. L’un des passages remarqués a été cette première rencontre officielle qu’Abdoulaye Wade fait dater du « 16 ou 17 juillet » selon sa mémoire, alors qu’elle s’est tenue le 19 juillet 1983. Durant cette soirée, et dans plusieurs entretiens ultérieurs, Wade a bien déclaré qu’il avait, ce soir-là, promis à Abdou Diouf de soutenir l’augmentation des prix des denrées qu’il venait de lui annoncer. Il le dira très clairement à Marcel Mendy, qu’on ne peut pas soupçonner d’être du lot des journalistes « qui n’aiment pas le président ». Lisez bien ce que dit Abdoulaye Wade dans son nouveau livre : « Après avoir détaillé les mesures qu’il allait prendre, Abdou Diouf me demanda mon avis. Ma réponse fut : Ce sont des mesures très dures, surtout pour les militants de mon parti, qui sont des paysans (…) Il me répondit : « Je vous ai informé de la décision que j’ai prise.» Et nous nous sommes quittés. Le soir même à 20 heures 30, au moment des informations à la radio et à la télévision, l’hymne national fut suivi d’une déclaration solennelle du président de la République. A la fin, le speaker enchaîna sans transition : «Le président de la République a reçu aujourd’hui maître Abdoulaye Wade, secrétaire général du Parti démocratique sénégalais.» J’étais stupéfait de la manœuvre qui venait de s’opérer ! Diouf avait lié mon nom à ses mesures, qu’il savait impopulaires, et tenté ainsi de faire croire qu’il avait eu mon aval ».

Dans le livre Wade et le Sopi, La longue marche, Wade explique clairement au journaliste qui lui demande pourquoi, après avoir promis son soutien à Abdou Diouf la veille (et non 6 mois après), il a fait volte-face le lendemain. Le prolixe opposant répond à la page 67 du livre de Marcel Mendy paru aux éditions « Les classiques africaines » : « j’avais reçu des informations que, pendant nos discussions, le pouvoir avait tenté de débaucher des responsables de notre parti tels que Fara Ndiaye et Serigne Diop. Quand je l’ai appris, j’ai tout de suite arrêté et je suis parti en France ». S’il en avait l’occasion, il servirait d’autres réponses, toutes différentes.

Quand après avoir affirmé que Wade « nous a donné la démocratie », ses amis journalistes lui demandent s’il a amélioré « notre » niveau de vie, le président répond avec la même condescendance : « Oui, j’ai amélioré leur niveau de vie ! Pour preuve, en 2005, pour la première fois de l’histoire du Sénégal indépendant, nous avons maintenu pendant deux années successives un taux de croissance économique supérieur à 6%. Tout cela avec une remarquable tenue des finances publiques, dans un environnement international particulièrement défavorable en raison de la hausse du prix du pétrole. (…).» En 2005, le taux de croissance économique du Sénégal était à 3,2 %, selon les statistiques officielles, et Wade ne l’ignore pas. L’année d’avant, il était à 5,5%. En 2007, il était à 2% !

Au sujet du bateau Le Joola, le président de la République ne se limite pas à accuser le parti socialiste, même si la catastrophe est intervenue en 2002, suite à un arrêt pour réparations et à la décision qu’il a prise d’octroyer seulement la moitié de l’enveloppe prévue pour l’achat des deux moteurs du bateau. Wade soutient dans son nouveau livre que « tous les responsables civils et militaires ont été sanctionnés ». Non seulement aucun responsable militaire n’a été sanctionné, mais les deux ministres de l’époque ont été nommés ministres-conseillers à la présidence de la République. Youssou Sakho, ministre des Transports de l’époque, vient d’hériter d’une commission (sur la transparence !) qui lui octroie un salaire mensuel de 7 millions Cfa, le plus gros salaire jamais payé à un agent de l’Etat.

Mais ce qui fait froid dans le dos, c’est la violence et la cruauté qui traversent les pages de ce livre. Abdoulaye Wade déclare ainsi, concernant l’agression de Talla Sylla, que « Malheureusement. Dans nos traditions, l’insulte, comme on disait chez vous au Moyen Âge, se lave dans le sang. Notre société est encore largement féodale dans les esprits ». Bien que nous soyons tous en sursis, nous tous qui commettons l’imprudence de « l’insulter », il n’y a pas d’aveu plus clair, quant aux auteurs de cette agression sauvage. De tels propos n’auraient jamais été admis en France où vivent ces prétendus journalistes, auteurs de cet ouvrage à deux sous. Ce sont de tels propos qui avaient conduit des jeunes d’une vingtaine d’années, Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop, à planifier l’assassinat de Me Babacar Sèye. C’est le 14 mai, veille de la date anniversaire de ce crime crapuleux qu’Abdoulaye Wade a choisi pour organiser les orgies les plus obscènes de l’histoire des publications. Quand il se réveillera ce jeudi matin de sa soirée festive, qu’il pense aux enfants de Me Babacar Sèye, à ses épouses, à ses petits enfants. Qu’il pense aux conditions dans lesquelles leur père, grand-père et époux a été sauvagement assassiné. Dans ce livre qu’il fait publier le jour même d’un crime qui ne quittera jamais sa conscience, point de remord, si ce n’est une énorme arrogance dans le ton : «Nous avons fait voter récemment une loi d’amnistie qui interdit de parler des faits. Premier magistrat du pays, je ne voudrais pas violer la loi que je suis chargé d’appliquer. » Il ne dit pas que les assassins de Me Sèye sont devenus des hommes d’affaires prospères sous son « magistère ». Il ne dit pas que le cerveau de l’affaire, Clédor Sène, a été récemment arrêté dans une affaire de trafic de drogue dure. Il ne dit pas que le « courageux » Clédor devait passer aux flagrants délits, mais a bénéficié d’une liberté provisoire, et n’a jamais été jugé.
Je ne crois pas un seul instant que cette coïncidence dans les dates soit un simple fait de hasard. Abdoulaye Wade l’a fait exprès pour piétiner la mémoire d’un sénégalais qui s’était dressé contre sa soif de pouvoir et d’argent.
J’ai dit à des amis qui pleuraient la mort de la Constitution, qu’il y a longtemps que nous n’avons plus de Constitution. Nous avons un Constitué. Il veut forcer les portes de l’histoire sans en avoir ni la grandeur ni l’élégance.

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:36 pm

Les justiciers de Sandaga
Souleymane Jules Diop Jeudi 22 Mai 2008

« Chaque régime finit par
être un ancien régime »
Jerzy LEC


Ce n’est pas le sort d’Idrissa Seck qui se jouait mercredi au Bloc des Madeleines. C’est ce que sera le Sénégal de Wade après Wade. C’est un chapitre sordide qui prend fin, avec un braqueur de banques que ni les preuves d’Adn ni les empreintes laissées sur place ne peuvent accabler. Il a décidé d’être innocent, et il en sera ainsi jusqu’à l’extinction du Soleil. C’est la première fois que dans l’histoire, un homme se déclare publiquement coupable et défie le lendemain la planète entière et l’astre solaire de prouver sa culpabilité. Il n’était pas seul, me direz-vous. J’admets que c’est plus facile quand celui qui commande la gendarmerie, la police et les juges est le principal complice qui fait disparaître et apparaître les preuves avec l’habileté d’un magicien.

Ce que j’ai entendu hier de la bouche de nombreux sénégalais, c’est « si vous n’avez pas les preuves, laissez-le partir ». Qu’Idrissa Seck ait lui-même volé de l’argent, aucun sénégalais n’en doute. C’est une vérité admise. Il s’est déjà accusé en l’avouant publiquement. Mais qui sait. Ce sont peut-être ces aveux qui lui ont sauvé la vie, puisque nous savons tous maintenant qu’il a agi avec la complicité du maître en la matière. Avec ce précis détail que nous devons rendre à Seck-Star ce qui est à Seck-Star, et reconnaître qu’il n’était pas lui-même voleur, c’était un receleur. Le vrai voleur, nous le connaissons tous. Il s’est emparé des écrans de télévision dès-après les élections législatives pour passer aux aveux et dire « oui j’ai volé, j’ai remis l’argent à Idrissa Seck, qui refuse de me le rendre ». Voilà toute la différence, l’impasse qui empêche les justiciers de Sandaga d’avancer.
Le problème est que si nous avons une Justice, si le juge Diakhaté et ses acolytes ont quelque chose en-dessous de la robe, qu’ils jugent tout le monde ou qu’ils ne jugent pas du tout. Les conclusions des commissions rogatoires envoyées à travers le monde sont tombées depuis un an, et dorment dans les bureaux des juges qui en connaissent le contenu. Vous serez déçus, mais elles ne contiennent rien. Pas une page des preuves que Wade dit détenir dans son bureau.

Ce que les juges font en ce moment est un refus de juger. S’il y a quelque chose de scandaleux dans cette histoire, c’est le jeu malsain auquel des magistrats acceptent de se livrer, sans penser à leur serment et à leur honneur. Ils n’ont pas rendu une décision ce mercredi pour une raison simple, ce n’est pas à eux de décider. C’est à Abdoulaye Wade de décider si Idrissa Seck doit être coupable ou pas. De nombreux partisans de l’ancien Maire de Thiès ont crié, le ventre creux, que leur leader est pris en otage. Ce n’est pas une personne qui est prise en otage, c’est le pays entier qui est entre les mains de Wade et de quelques juges. Si au bout de trois ans, ils n’ont pas rassemblé la moindre preuve de culpabilité d’une seule des personnes impliquées dans les chantiers de Thiès, ils doivent rendre leur décision ou du moins appeler le président de la République à témoigner sur les preuves qu’il dit détenir.

Mais s’ils prennent du plaisir à jouer les prolongations pour s’emparer du budget qui leur avait été alloué, ils finiront sur le banc des accusés pour « manœuvres tendant à obtenir des sommes ou des avantages matériels indus et prise illégale d’intérêt ». Mais oui, c’est la longue phrase qui reste des accusations d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de détournement du 10 août 2005, le jour-même où Idrissa Seck devait fêter ses 46 ans.

J’ai réfléchi au hoquet que peut causer chez les populations affamées tout ce vacarme autour des milliards détournés par Abdoulaye Wade et sa suite de voleurs. Je me suis alors demandé mais comment ils ont pu...
Mais non, je ne parle ni de Wade ni des juges. Je parle de ceux qui, le 25 février 2007, ont plébiscité le vol et le mensonge, en classant Abdoulaye Wade et Idrissa Seck premier et deuxième. Ne me dites pas qu’ils ont volé. Ca ne ferait que confirmer ce qu’ils sont déjà. Mais ça ne change pas les gros scores de Pikine et Guédiawaye où les gens sont allés voter et se sont regardés le soir en s’accusant de traitrise, alors qu’ils avaient déjà digéré les sandwichs de la trahison. Je me suis demandé si Petit Mbaye avait des raisons d’être en prison. Il s’est laissé prendre au jeu de coterie électorale, mais il ne roulait pas en Hummer sur le bitume de Niaye-Thioker. 100 millions, c’est à peine la commission que devaient toucher Me Ousmane Sèye et son amie Nafissatou Cissé, soit 10 % du « pactole de Rebeuss ». Excusez mon sarcasme, mais tous ceux qui sont allés en prison pour détournement ont eu en prime la popularité et la chaleureuse gratitude de la Nation. Ils font en général le même parcours. Ils rencontrent Dieu en prison, et quand ils sortent de Rebeuss, ils trouvent des fidèles électeurs prêts à se mettre à genou pour recueillir leurs prières. Faites le tour des embastillés célèbres accusés de prévarication. Ceux qui volent, mentent, sont toujours accueillis en héros. Mais voyez quel prix Mamadou Dia a payé pour avoir voulu vivre en homme honnête.

Malgré tout, nous ne pouvons pas regarder le jeu d’ombres entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck avec la même indifférence. Ils nous ont semés une première fois, ils risquent de réussir leur deuxième coup. La question n’est pas de savoir s’ils vont s’entendre ou pas. Ils sont condamnés à s’entendre, et ils se sont déjà entendus. Leur conviction est faite que, quelles que soient les combinaisons prévues, le clan de la rue A restera à l’avenue Senghor pour « protéger » la famille. La question était de savoir qui de Karim Wade ou de l’ancien Premier ministre prendrait les commandes du pays, et s’il présentait assez de garanties pour le reste de la bande. Idrissa Seck veut être lavé avant d’annoncer des retrouvailles officielles et un retour auprès d’Abdoulaye Wade. Wade veut des garanties de retour avant tout non-lieu total. Mais depuis un an, le président de la République ne fait que préparer ce retour que son ancien numéro deux diffère. Wade a supprimé tous les postes de numéro deux dans le Pds et chassé Adjibou Soumaré de la Maison militaire, pour faire honneur à son ancien lieutenant.
Ce qui s’est passé avec la dissolution des Municipalités est une honteuse manipulation de l’opinion. Idrissa Seck n’est plus maire. Mais au fond, il ne l’a jamais été. On ne lui enlève ni un fauteuil ni un salaire, puisqu’il n’en a jamais disposé. On lui enlève une bannière qu’il n’a pas eu le temps de mettre.

Ce que cette dissolution offre, c’est qu’elle replace l’ancien Premier ministre dans son ancienne position qu’il affectionne, celle de victime : le meilleur prétexte pour le passer à la laveuse, avant de le ressortir blanc comme neige. Personne n’osera dire que le président de la République a influencé la décision des juges. On dira plutôt que compte tenu des récentes déclarations du président de la République et ses menaces programmées dans le journal Le Soleil, les juges ont été courageux et ont rendu leur décision « en toute indépendance ». J’imagine les coups de klaxons et les cris de joie qui auraient accompagné un non-lieu pour la seule raison que Wade aurait perdu dans sa tentative de liquider Idrissa Seck. Par désespoir, nous nous accrochons à ces petites victoires sur l’orgueil présidentiel. Non, il ne perd rien. Il manipule tout. Nous aimons, nous Sénégalais, les fausses compassions. Nous serions capables de pitié pour nos propres bourreaux, s’ils se présentaient à nous en victimes. Préparons la trousse de secours pour Adjibou Soumaré. S’il perd la manche face aux grévistes, c’en sera fini pour lui. Wade va faire appel à son ancienne famille et à... Idrissa Seck !

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:37 pm

Au nom du père et du fric
Souleymane Jules Diop Jeudi 29 Mai 2008



« Le roi avait perdu son trône.
Quoi que je fasse,
je ne ferai pas pire que lui »
Barack OBAMA


Avez-vous vu, chers lecteurs, l’accueil enthousiaste qu’Idrissa Seck a reçu à Touba et à Tivaouane ? C’est à vous couper le souffle. Entre le mal et le pire, nous avons encore du mal à choisir. Eh bien, nos marabouts ont déjà voté. Ils ont choisi Idrissa Seck. Réserver un tel accueil à quelqu’un qui a tant de mal avec la morale est bouleversant. Mais c’est toute la différence entre le pays réel et celui que nous voulons. Idrissa Seck est peut-être, avec Abdoulaye Wade, le plus sénégalais de notre cartel politique. Ils sont vrais quand il le faux, faux quand il le faux. C’est pourquoi nous les aimons et les haïssons tant. S’ils ont transféré la souveraineté du pays à Touba et à Tivaouane, c’est pour mieux la garder. La gauche traditionnelle a eu tort, au début des années 60, d’avoir négligé la classe maraboutique et d’avoir mis au cœur de son combat de libération nationale, le combat contre la religion. C’était le temps des opiums.

Les conversions à la religion et à l’argent, dont la plus spectaculaire est celle de Landing Savané, paraissent peu sincères aux yeux de nos marabouts et n’ont jamais ébranlé cette méfiance réciproque. La gauche avant-gardiste s’est naturellement exclue des véritables cadres sociaux où se jouent les enjeux de pouvoir. Senghor s’est emparé du pays parce qu’il avait avec lui la classe maraboutique. Mamadou Dia a perdu le combat politique parce qu’il avait contre lui tous les marabouts rentiers. Quand Abdou Diouf a été interrogé sur les raisons de sa chute, il a expliqué la venue du Pape Jean Paul II au Sénégal, qui ne lui aurait jamais été pardonnée.

Pendant que l’opposition dite « significative » prépare avec hargne ses Assises nationales, la dévolution du pouvoir est en train de se négocier tranquillement entre Touba et Tivaouane. J’ai eu la surprise de constater que les organisateurs des Assises n’ont pas insisté sur la présence des chefs religieux ou de leurs représentants, parmi les 74 organisations représentées. Rien ne se fera sans ces gens-là. La raison en est bien simple. Si vous enlevez Dieu, marabouts et politiciens convoitent tous la même chose auprès des hommes, l’argent et le pouvoir. J’ai dit à un ami, qui voulait me convaincre qu’il n’y avait rien entre Idrissa Seck et Abdoulaye Wade, qu’il avait bien raison. Il n’y a rien entre eux, il y a quelque chose au-dessus d’eux : le pouvoir, l’argent, les confréries et... la franc-maçonnerie. C’est pourquoi ils sont forcés de s’entendre. La question n’a jamais été de savoir s’ils se mettraient ensemble. Ce qui les oppose, c’est qui sera devant entre le putatif et le biologique. Mais ils seront ensemble, au pouvoir comme au purgatoire.

Ce qui disqualifie Idrissa Seck dans cette bataille de succession, c’est justement le fait qu’il pose le débat dans une optique successorale, au même titre que Karim Wade. Il ne dit pas que nous devons aller vers une compétition démocratique ouverte à tous. Il dit « je veux être derrière, pas devant ». Pour lui, celui qui contrôlera le pouvoir sous Wade contrôlera le pouvoir après Wade. Si le président de la République acceptait ce dernier terme du protocole, qui n’a rien de démocratique, Idrissa Seck suspendrait ses activités dans l’opposition et chanterait de nouveau les louanges de Wade. Il veut franchir l’obstacle Wade sans lui faire face et ne se bat que contraint. Idrissa Seck n’a même pas la prétention d’être une alternative à Wade. Son seul programme alternatif, c’est sa propre personne. L’assentiment qu’il a des marabouts, le laissez-passer qu’il a des chancelleries occidentales, les nombreuses complicités qu’il a dans tous les échelons de l’administration ne le rendent pas moins dangereux pour ce pays qu’il veut prendre à tout prix. Il a représenté pendant longtemps la seule et vraie alternative crédible. Il s’est fusillé tout seul, même s’il tient encore debout.

Je suis persuadé que si les Américains sont allés voir l’ancien Premier ministre, c’est pour saluer son endurance au combat. Depuis un an maintenant, les Chancelleries occidentales répètent à leurs interlocuteurs que « ça ne va pas, mais nous ne voyons personne ». Je suis d’accord avec eux. Dans l’opposition, personne n’a jamais compris que la place était vide, qu’il fallait la prendre. Tous ont voulu faire de l’opposition républicaine, pendant que Wade et Idrissa Seck négociaient un vrai testament politique et financier. « Tu gardes l’argent. Une partie servira à financer ma campagne, et une partie ta campagne quand je serai parti ». Il a fallu sept années de gabégie et de désastre pour que la porte-parole du Ps reconnaisse enfin que l’opposition républicaine à Wade a été une erreur qui risque de nous coûter des décennies d’errements.

C’est pourquoi il faut aussi demander des comptes à ceux qui s’agitent dans les Assises pour réparer le mal commis, sans préciser où ils étaient quand le mal était commis. Si vous enlevez quelques bien-intentionnés invités pour servir de faire-valoir, il ne reste que des gens qui se sont enrichis avec le pouvoir et des gens qui se sont enrichis avec les Ong. La corruption n’a pas seulement gagné le pouvoir, elle a aussi gagné les « Ongistes », qui ont acheté des vergers à la place de l’aide aux paysans, des maisons à la place des sièges, payé leurs bonnes à la place de leurs secrétaires. Ceux qui d’entre eux qui n’avaient encore mangé, Wade les a invités à sa table. Les 32 agences créées sur le dos des ministères ont permis de recruter des Ongistes de tout poil, des « droits-de-l’hommistes » payés à ne rien faire. Pendant que le pays souffre, les Directeurs de toutes ces agences gagnent en moyenne 6 mois de salaire mensuel, et le personnel recruté reçoit 2 millions de francs Cfa par mois. Certains agents cumulent ce salaire tombé du ciel avec ce qu’ils gagnent dans l’administration. Le plus révoltant s’est passé le mois dernier avec l’agence de régulation des marchés dirigée par Youssoupha Sakho. L’ancien ministre des Transports a réclamé un salaire mensuel de 6 millions et un prêt de 10 millions pour « s’équiper ». Quand certains membres de l’agence ont estimé que c’était un peu indécent pendant que le reste du pays souffre, c’est un agent du ministère des Finances qui est venu à son secours, en expliquant qu’il ne serait pas juste de handicaper M. Sakho, puisque sur les 32 agences créées par le président de la République, la moyenne des salaires est de 6 millions de francs Cfa !
Le représentant d’Abdoulaye Diop et les autres membres de la société civile cooptés gagnent 2 millions par mois. Ils ont pensé que cela n’était pas suffisant. Ils ont réclamé des ordinateurs et des Véhicules utilitaires sport « pour le terrain ». Sachez que quand la question s’est posée de savoir sur quelles bases ils auditeraient les entreprises, ils ont choisi le « tirage au sort », sachant que l’Anoci ne sortirait jamais de ce tirage. Nous voulons faire la révolution avec ces gens et des « hommes d’Etat » qui, à force d’user leurs pantalons sur les bancs de l’Etat, ont fini par y laisser des trous.

Parmi ceux qui veulent faire le procès du wadisme, beaucoup devraient se retrouver au banc des accusés. Il y a ceux qui lui ont confectionné sa Constitution sur mesure et appelé les populations à la voter. Il y a ceux qui se sont associés sans broncher à des mesures aussi graves que l’amnistie des assassins de Me Sèye, leur indemnisation, la réfection frauduleuse de l’avion de commandement. C’est pourquoi, la question n’est pas de savoir quels sénégalais nous voulons pour le pays, mais quel pays nous voulons pour les sénégalais. Abdoulaye Wade a sans doute tous les défauts. Mais il a trouvé un Etat qui cadre bien avec ses aspirations monarchiques. Ce débat sur l’orientation que nous voulons donner à notre pays, à nos institutions, des pays comme le Bénin l’ont eu. En près d’un demi-siècle de souveraineté, nous n’avons jamais réussi à nous réunir pour asseoir les bases institutionnelles sur lesquelles édifier une Nation viable. Nous avons pensé que des illuminés le feraient à notre place. Si nous ne réglons pas la question de savoir où nous voulons aller avant de savoir qui va nous y mener, nous serons toujours à la merci des grands aventuriers.

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:38 pm

Il était une fois, Wade
Souleymane Jules Diop Jeudi 5 Juin 2008

« L’ambition souvent fait accepter
les fonctions les plus basses ; c’est
ainsi que l’on grimpe dans la
même posture que l’on rampe »
Jonathan SWIFT




Il n’y a rien à faire avec Abdoulaye Wade. Qu’importe l’état dans lequel on le fait macérer, il revient toujours avec un goût amer. On ne peut pas lui extirper ses ennemis, puisqu’ils sont à l’intérieur. Ce sont les vieux démons qui le réveillent tous les soirs pour lui demander des comptes sur Me Babacar Sèye, Mamadou Lamine Badji, et récemment Chamsdine Aïdara. Les Aïdara de Ziguinchor, très respectés un peu partout dans le Pakao, ont eux aussi décidé de l’empêcher de dormir. Wa se présente toujours avec le visage tuméfié comme s’il avait passé la nuit en tête-à-tête avec sa bouteille de vin. Non. Il souffre. Pas de nos malheurs, mais de ses propres malheurs, qui l’empêchent de dormir. Quand son indexe transperce le vide pour menacer quelqu’un, c’est pour entrer dans ses propres abîmes. Mais il sait, depuis la semaine dernière au moins, qu’il ne fait plus peur à personne.

Viviane Wade avait décelé cette fournaise intérieure, en confessant à son biographe officiel Cheikh Diallo que « dormir auprès de Abou n’est pas de tout repos ». C’est terrible, pour quelqu’un qui pensait que la mauvaise conscience ne le rattraperait jamais sur terre. On le croyait insensible aux coups, mais Wade saigne de l’intérieur. C’est de l’intérieur qu’il est en train de se décomposer. Il se fâche contre des gens qui ne lui ont rien fait. Il pétait les plombs, mais la fréquence est devenue inquiétante à ce niveau de l’Etat.

Vous serez étonnés, mais Yaham Mbaye n’a jamais rien fait à Abdoulaye Wade. Il est le Directeur général du Groupe Com 7, et par son propre malheur, le groupe appartient à Bara Tall, à qui Wade a décidé de faire la guerre, et à Pierre Aïm, qui représentait pourtant les intérêts de la famille Wade dans le Groupe, et que Karim Wade ne veut plus voir depuis qu’il a fait ses fameuses révélations sur « l’argent de Taïwan ». Il y a trois ans, quand Youssou Ndour a débarqué dans les locaux du groupe pour déloger Yaham Mbaye, c’est Wade lui-même qui a demandé le rétablissement de son ennemi d’aujourd’hui, avant de l’appeler personnellement pour s’excuser de ce que Youssou Ndour avait voulu faire. Seulement, le président de la République croyait l’avoir dans la poche après cet incident. Ce que ni la ligne du Populaire ni celle de son « ami Yaham » n’est venu confirmer. Son âme végète tous les jours à la recherche de nouveaux ennemis. Le dernier sur qui il avait pointé son doigt accusateur, un « politologue » bien connu, il a fini par l’apprivoiser et en faire son plus grand laudateur.

C’est ainsi que Wade fonctionne depuis que très tôt, il s’est découvert au-dessus de tout le monde. Ou on est d’accord avec lui, ou on est son ennemi. Il le fait au nom de ce qu’il croit être sa supériorité morale et intellectuelle, une religion chez lui. Cette assurance qu’il est le plus grand homme de l’Histoire a détraqué en lui l’instinct d’autocensure qui empêche les gens de dire n’importe quoi et de tomber dans le ridicule. Wade dit tout ce qui lui passe par la tête sans aucune retenue. Pas par franchise, comme semblent lui créditer certains, mais par narcissisme démesuré. Un homme franc accepte et admet, par principe, la franchise des autres. C’est pourquoi les seuls dont il s’accommode maintenant sont ceux qui lui doivent tout. Il est triste de voir cet homme seul, cerné par Abdourahim Agne, Djibo Kâ et Malick Ndiaye, qui l’avaient combattu farouchement, et qui lui servent maintenant de garde du corps.

Nous avons perdu notre homme. Il savait rire, faire rire les autres. Il est maintenant seul avec lui-même. Peu de gens auraient parié sur ce retournement spectaculaire. Nous lui préparions une place à côté de grands de ce continent comme Cheilkh Anta Diop, Kwame Krumah, Nelson Mandela. Nous le pensions trop au-dessus d’Abdou Diouf, un peu après Senghor. Il s’était élevé à ces hauteurs-là, avant de piquer du nez.
La communauté internationale ne fait que découvrir avec stupéfaction ce que nous vivons depuis plusieurs années déjà. Figurez-vous qu’il y a quelques années, dénoncer cet homme sur la place internationale était un blasphème. Le monde entier était resté collé à l’image du libérateur qu’il n’a jamais été. Il traînait sa cour partout avec toujours les mêmes arguments : « il est le premier opposant légal en Afrique, il a réalisé l’alternance démocratique, il avait dit qu’il ne marcherait jamais sur des cadavres pour prendre le pouvoir. » C’est ce que feu le démocrate avait apposé sur sa carte de visite, avant d’échouer sur le Comité Nobel.

L’espoir que le Sopi incarnait s’est transformé en désespoir, le paradis qu’il promettait, en un enfer interminable. Si les Assises ont un intérêt, dois-je confesser, c’est de révéler au monde entier la perfidie de cet homme, qui ose s’en prendre à des gens parce qu’ils ne pensent pas comme lui. Même dans les dictatures tropicales les plus ubuesques, on se gardait d’aller aussi loin. Quand il va s’adresser aux médias étrangers, attendez-bien ce qu’il va dire : « j’ai même inscrit la liberté de manifester dans la Constitution. »

Un ami m’invitait fiévreusement à combattre ces Assises nationales, pour la simple raison que ceux qui les organisent ont été, ou des fonctionnaires du Parti socialiste, ou des fonctionnaires sous le Ps. Je lui ai répondu que c’est le propre des gens désespérés de s’accrocher à tout, et le Sénégal en est là. Que toute cette machinerie politique ait servi à une autre époque est une évidence. Mais je ne sais pas si nous devons condamner le Ps et son ancienne direction à la « perpete », quel sort nous devrions réserver à Abdoulaye Wade et au Pds. La question n’est pas de savoir si Mamadou Lamine Loum a servi sous Diouf ou pas, la question est de savoir si le diagnostic qu’il fait de la situation du Sénégal est juste ou pas. Ce qu’il a dit dans les colonnes du journal Le Quotidien mérite attention et respect.

Je ne suis pas contre les Assises, je suis contre tout ce qui donne à Abdoulaye Wade l’impression qu’il peut s’inscrire dans la durée. C’est dans la rue que le président de la République assoit sa domination, c’est dans la rue qu’il faut lui faire face. On ne peut que saluer la grandeur d’âme d’Amadou Makhtar Mbow. On ne peut qu’être admiratif face à tant de compétences réunies, qui rappellent que derrière la bouffonnerie officielle, le Sénégal reste un pays riche de ses hommes. Mais il faut voir au-delà des Assises, et admettre que la condition préalable à l’application des mesures, quelles qu’elles soient, reste le départ d’Abdoulaye Wade. Ce que les incidents de ces dernières semaines montrent bien, c’est que la rue est devenue le lieu d’exercice du pouvoir. Pas du fait de l’opposition, mais du fait du pouvoir, qui s’est déjà organisé en milices pour se mettre hors-la-loi. Wade a non seulement perdu le contrôle de la situation, mais il a perdu le contrôle de ses nerfs. On ne peut plus rien attendre de lui. Pendant qu’il va donner des leçons à Rome, la pluie s’est déjà abattue dans de nombreuses régions du pays, sans que les paysans aient reçu la moindre semence.
L’expédition punitive contre le domicile du doyen Amadou Makhtar Mbow est odieuse, indigne d’un pays comme le Sénégal. C’est le genre de bassesses dans lesquelles le pouvoir est passé maître, et que des Assises nationales ne régleront pas. Mais ce ne sont pas de simples dénonciations et des cris d’indignation qui feront changer le régime. Il faut rester debout, comme le suggèrent si bien les jeunes du Front Siggil Sénégal.
Wade est très fort pour retourner une situation. Il y a bien une menace de coup d’Etat dans ce pays. Faire un coup d’Etat, c’est prendre une position de pouvoir qui va à l’encontre des règles institutionnelles étables et de la loi fondamentale. C’est ce que cet homme fait tout le temps. Depuis plus d’un an, il n’assure plus qu’une fonction de sécurité pour les prébendiers en place. Assurer les fonctions de police pour réprimer tout mouvement de protestation, assurer le paiement des salaires pour éviter un soulèvement populaire. C’est la seule chose qui nous différencie de la Guinée de Lansana Conté. C’est que les finances publiques génèrent assez de recettes pour continuer à payer les salaires. Ce n’est pas le mérite d’Abdoulaye Wade, c’est sa première condition à la survie de son régime.
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Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:39 pm

Les valses du cocher
Souleymane Jules Diop Jeudi 12 Juin 2008

« C’est un sentiment qui m’est commun
avec tous les mortels : je ne rougis pas
d’avouer que ma personne m’est très chère »
EURIPIDE




On peut avoir une tête de cocher et réussir des coups de patte de génie. Qu’on l’ait aimé par le passé ou pas, Farba Senghor est en train de sauver Abdoulaye Wade du naufrage. Disons qu’il est en train de le tirer des bas fonds où le président de la République est resté en immersion depuis plusieurs mois. Dieu seul sait si son apnée le mènera jusqu’à la surface. Mais quoi qu’on en dise, c’est un retournement de situation spectaculaire. Le troubadour attitré du Wadisme est, de tous, celui qui a reçu le plus de coups de ses propres camarades de parti. Le préfet de Dakar l’a fait bastonner par la police; le président de la République l’a chassé du palais. Farba Senghor a patienté à la porte avec son air de chien battu, sûr qu’il n’attendrait pas longtemps pour se remettre au service du maître. Sûr qu’après avoir fait le vide autour de lui, « Wade » ferait appel à sa fidélité canine.

Quand Farba Senghor est parti à la faculté de droit pour recevoir le titre de docteur Honoris Causa, les étudiants de Moustapha Sourang l’ont chassé comme un malpropre indigne de cette distinction. Eh bien, c’est une revanche que cet homme fourbe et emprunté prend sur ceux qui le prenaient pour un fou. Quatre ans après, les plus sérieux « stratèges » du président de la République pensent que ce coursier émérite de madame Wade est le seul digne de commander le prochain gouvernement. Dans l’immense désert hostile qui entoure « général Wade », il tient le poste le plus avancé. C’est Farba qui va au front, négocie avec les ennemis, prépare les redditions de son chef pour le sauver de l’humiliation. Le coup de cette semaine, quels qu’en seront les effets, est un bon coup. La politique est comme la nature. Elle a horreur du vide. Farba Senghor est maintenant le seul à atteindre Abdoulaye Wade à l’épaule quand il se met debout sur ses 25 ans de vains et loyaux services. Les autres têtes ont été coupées parce qu’elles étaient devenues trop hautes.

On est loin de l’époque où le président de la République bombait tellement le torse qu’on croiyait qu’il s’était installé des pectoraux artificiels. Ceux qui l’ont visité un soir pouvaient prendre la température du pays, juste en tâtant la fermeté de son salut. Le président pouvait redresser son abdomen trois fois pour s’assurer qu’il tenait debout, avant de pousser son hôte sur son fauteuil « Louis XIV ». Ce n’est plus le cas. Farba Senghor, qui lui apporte les nouvelles du front tous les matins le trouve le dos courbé, les mains moites comme s’il anticipait une mauvaise surprise. Le président n’arrive même plus à afficher son sourire commercial qui rendait sa face supportable. Il s’abandonne à son destin, comme s’il s’avouait maintenant son inaptitude tragique.

Mais des bonnes nouvelles, la météo politique n’en sort plus depuis longtemps. Les caisses de l’Etat sont désespérément vides, les entreprises privées sont tenues à la gorge, les paysans crient famine. C’est une compagnie privée qui avait accepté l’année dernière de financer la campagne arachidière. L’Etat s’était engagé à la laisser répercuter cet investissement sur les prix, mais il n’a pas respecté sa parole. Ce serait « trop dangereux socialement ». Pour renflouer les caisses, il ne reste qu’à brader les derniers bijoux de la famille, la Sonatel et Air Sénégal international. Pour des questions de survie. C’est la bêtise que le régime a décidé de s’accorder pour entretenir son train de vie et payer les salaires des fonctionnaires.

La dégradation du tissu économique a surpris tout le monde, même les caciques du régime qui rêvaient de passer 50 ans au pouvoir. Au point où, dépité, le président de la République répète tous les matins « Je ne sais pas ce qu’il a ce Hadjibou, mais depuis qu’il est là il n’y a que des problèmes ». Ca ne l’empêche pas de s’arcbouter contre vents-et-marées sur sa brioche matinale et ses œufs brouillés. Le mettre au régime serait trop lui demander, maintenant que ses dents ont retrouvé leur pleine capacité.

Il faut de l’hypocrisie pour évoluer dans la haute politique. Mais Abdoulaye Wade y ajoute trop de mauvaise foi. Pendant qu’il insultait les enseignants et les menaçait de leur couper les vivres, il était d’accord avec eux sur tous les points sauf un seul : le président de la République ne voulait pas, une fois des accords trouvés, recevoir les enseignants pour en garantir l’application. C’est ce qui rend le rôle de Farba Senghor utile dans cette affaire. Au moment de devoir respecter ses engagements, le président de la République pourra dire « ah mais moi, je ne sais pas ce que Farba vous a dit ». L’avenir dira si les enseignants ont le droit, quoiqu’ils aient raison sur de nombreux points, d’engager des discussions avec un ministre autre que leur ministre de tutelle et de signer des accords sans l’accord du ministre du Budget.

L’éthique républicaine réprouve le genre de procédés utilisé contre Sourang, mais la paix sociale est à ce prix. Jusqu’à la prochaine tempête. C’est pourquoi, de bout en bout, ce sont des courtisans peu crédibles qui ont mené la médiation pour la signature de ces accords. Babacar Gaye et Iba Der Thiam pourront demain se dédire sans la moindre gêne. Ils ne cherchaient pas à sauver l’année scolaire. C’est le dernier souci d’Abdoulaye Wade. Il en a grillé deux. Juste sur commande, quand son parti contrôlait encore le mouvement étudiant. Ils cherchaient à s’assurer eux-mêmes une tranquillité civile.

Mais de toutes les interventions, la plus surprenante est sans doute celle d’Amsatou Sow Sidibé. Cette belle-sœur d’Abdou Diouf qui a dirigé un mouvement de soutien pour la réélection de l’ancien président exige du pays qu’il rende « hommage au président Wade »! Evidemment, après avoir demandé aux enseignants de « ne pas sacrifier les enfants ». Après les courbettes à Abdou Diouf, elle fait les ronds-de-jambe à Abdoulaye Wade. Elle fait partie des membres de la « société civile » comme Malick Ndiaye et Momar Ndao qui, après s’être nuitamment engouffrés dans le bureau du président, lui trouvent désormais une sagesse qu’ils ne lui trouvaient pas. Chacun d’entre eux pense qu’il sera ministre dans le prochain gouvernement. Mais c’est la force de Wade de faire espérer.

On s’attendait à un deuxième mandat difficile. Mais pas à une descente aux enfers aussi rapide. C’est une grande malédiction qui frappe ce président de la République, une incapacité à gouverner que l’on ne pouvait pas imaginer chez cet agrégé de Droit et d’Economie qui avait réponse à tout. Les traces de ses hauts faits resteront à tout jamais visibles. Dans toutes les grandes artères des grandes villes, ses hommes ont rasé leurs maisons familiales pour y édifier des résidences de luxe à plusieurs centaines de millions. Tout cela en moins de 8 ans. C’est le prix de cette générosité à double détente que les plus pauvres payent aujourd’hui.

Et malheureusement, notre agrégé en Economie n’en tire pas les leçons. Quand les caisses de l’Etat manquent d’argent et qu’on ne peut pas agir sur la fiscalité, le bon sens voudrait qu’on réduise les dépenses publiques. Maître Wade a décidé de les augmenter. La satisfaction des enseignants, qui réclamaient la tête de Sourang, va nous coûter deux nouveaux ministères et de nouvelles dépenses de fonctionnement. Mais ce n’est rien à côté des folies à venir. Il faut voir les sommes dégagées pour réfectionner les locaux de la Maison Djim Momar Guèye, siège de l’Apix. On aurait construit un autre immeuble avec les centaines de millions engagées dans la rénovation de ce site. Karim Wade, qui doit remplacer Aminata Niane au poste de Directeur général, ne l’a pas trouvé à son goût. Aux yeux du régime, ce petit détail est plus important que les indemnités des enseignants et les semences des paysans.

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:41 pm

La saga des vendus
Souleymane Jules Diop Jeudi 19 Juin 2008



« Napoléon disait, à Sainte-Hélène,
que la destinée dépend parfois d’un seul jour.
L’Histoire justifie cette assertion,
mais montre aussi qu’il faut généralement
beaucoup d’années pour préparer ce jour »
Gustave LE BON




A quoi tient l’Histoire ? A quelques malentendus, bien-sûr ! Si Amadou Moctar Mbow ne s’était pas déplacé à Paris pour y rencontrer Idrissa Seck, le fond de la pensée de l’ancien Premier ministre nous serait encore inconnu. Il faudra trop de choses pour que son parti, qui se plaignait d’avoir été injustement mis à l’écart, prenne part aux Assises nationales. Il faut que les assises soient vraiment nationales. Des Assises nationales, ce sont des Assises qui incluent « la majorité ». Mais c’est qui la majorité ? Eh bien, celle qui nous gouverne depuis un an. Abdoulaye Wade et sa camarilla politique dans laquelle se reconnaît parfaitement Idrissa Seck. Ce n’est pas la seule condition posée par les « rewmistes ». Il y a une autre qui découle de la première, la reconnaissance d’Abdoulaye Wade comme vainqueur incontesté et président légitime du Sénégal. C’est toute la nuance contenue dans la lettre-réponse du 15 juin. Idrissa Seck ne dit pas « je ne participe pas ». Il dit : « je ne participe pas si le président Abdoulaye Wade ne participe pas. »

Nous ne pouvons pas reprocher à l’ancien Premer ministre son incohérence. Au lendemain de la présidentielle, alors que le pays entier se remettait du chaos électoral, le candidat de Rewmi s’était précipité dans les médias pour déclarer Wade vainqueur et le féliciter de sa victoire. Il s’est par la suite ligué avec l’opposition pour boycotter les législatives, sous le prétexte que la présidentielle a été frauduleuse. Parce que Wade l’a traité entre-temps de voleur.

Ce qui explique l’entêtement d’Idrissa Seck à supporter Wade contre le reste du pays, c’est cette croyance presque mystique qui lui fait penser que s’il tire le premier, il est mort. Les tracasseries judiciaires sont dures, mais il s’est placé à leur hauteur, pour mieux les supporter, avec les humiliations. Elles restent un rien, à côté des sévices qu’il s’imagine en souffrant par anticipation. Or, s’il laisse Wade à lui-même, le président de la République mourra de lui-même, s’est convaincu le « président de Rewmi ». Dans le meilleur des cas, Idrissa Seck compte ramasser le Pds tout entier. Dans le pire des cas une partie, se disant certain que les Sénégalais arrêteront Karim Wade le moment venu.
Mais l’intention de pérenniser l’héritage du Pds ne fait aucun doute. Il se fera avec ou contre les dernières volontés d’Abdoulaye Wade. Son porte-parole Omar Sarr, un vrai Karaoké quand il s’agit de reprendre les refrains de son maître, a rompu avec la langue de bois à ce sujet : « l’unité, le renforcement et la pérennisation au pouvoir de sa famille politique fait partie du projet de Monsieur Seck ». Ce qui est son droit le plus absolu. Mais qu’Idrissa Seck ne nous demande pas de reconnaître la légitimité de quelqu’un qui, de ses propres aveux, le tient en otage.
Le président de la République s’est dit maintenant convaincu qu’entre Idrissa Seck et lui, « il faut qu’il y ait un cadavre, et ce ne sera pas moi ». Wade entendait achever l’œuvre majeure de son deuxième mandat, la destruction du complexe Idrissa Seck. L’ancien Premier ministre vient de lui prouver rageusement qu’il peut lui être utile.

Symboliquement, son ralliement aux Assises nationales aurait isolé davantage Abdoulaye Wade et rompu la majorité mécanique obtenue en février 2007. Nous ne l’aurons malheureusement jamais, et il faut désormais compter Seck comme une partie du problème Wade.
Ce qu’Idrissa Seck pose comme un postulat immuable, ce n’est pas seulement qu’une alternative programmatique ne peut pas se faire sans le Pds. C’est qu’une alternance politique ne peut pas se concevoir en dehors du Pds. Il est lié à Wade comme une huître sur le jonc de marécage qui le maintient en vie. Il ne le quittera jamais, il vient de le répéter à dessein.

Il faut reconnaître à Abdoulaye Wade son aptitude au combat. Il sait combattre et se défaire d’un adversaire. C’est une fois la victoire acquise, au moment de la gestion du pouvoir qu’il se révèle impuissant. Personne ne pouvait prédire qu’il irait aussi vite avec la « société civile ».
L’opposition avait fait ce raisonnement très noble que pour éviter les querelles de leadership et donner une dimension nationale et non-partisane aux Assises, il fallait mettre en avant la « société civile ». C’est une erreur. Ses représentants sont en train de se faire acheter un à un. Ils sont devenus le ventre mou des Assises nationales, les premiers à capituler. Et ils ont le culot d’accuser le Front Siggil Sénégal de tous les maux. C’est ou les assises sont politisées, alors elles sont financées par une puissance étrangère. Babacar Justin Ndiaye n’a été que leur porte-parole loufoque. En déclarant détenir des informations de « sources diplomatiques », il essaie de crédibiliser l’idée d’un complot étranger déjà vendue par les propagandistes libéraux, déjà défendue par Malick Ndiaye. Aucune représentation diplomatique ne peut épandre de telles grossièretés, c’est impossible. Mais c’est la presse qui a donné du volume à ce troubadour. Voilà quelqu’un qui ne travaille dans aucun organe de presse, et qu’on dit journaliste. Il n’a jamais écrit aucun ouvrage politique, aucune étude, aucune réflexion politique, et se fait appeler pompeusement « politologue ». J’ai lu Mody Niang célébrer dans son dernier livre une citation du « politologue » Babacar Justin Ndiaye : « La différence entre un homme politique et un homme d’Etat, c’est qu’un homme politique pense à la prochaine élection. Un homme d’Etat pense à la prochaine génération. » Evidemment, l’inspecteur de l’éducation n’est pas fautif. Il ne savait pas que cette citation était de James Freeman Clarke. Justin Ndiaye s’est toujours gardé de citer les auteurs qu’il copie à longueur de paragraphes. Et il n’a jamais apporté la précision à ceux qui lui attribuent généreusement les propos des autres.

C’est cela le fort de notre « politologue ». Réciter des passages entiers de l’Encyclopédie Universalis sans jamais citer les auteurs. Il sera bientôt récompensé pour service rendu. Bientôt naîtra de sa nouvelle collaboration avec Abdoulaye Wade, un magazine panafricain dont la seule raison d’être sera de chanter les louanges de notre Napoléon national. Ses conquêtes diplomatiques bien-sûr ! Dans ce domaine, Wade croit qu’il n’est pas trop tard pour « l’enobélir ». Et Justin portera, de sa distinguée plume, la responsabilité de cette noble mission. On lira dans ce magazine que le Hamas, sensible à la sagesse et à la grandeur d’âme de notre président, veut lui confier le soldat Gilat Shalit. Une autre histoire montée de toute pièce qui risque de finir comme les précédentes, en queue de poisson. C’est trois jours avant le sommet de l’Oci que Shimon Peres a adressé une courte lettre au président Wade, dans laquelle il lui dit espérer « que le sommet de l’Oci sera un sommet de la paix, et non une tribune pour la cause palestinienne ». Wade s’est emparé de la lettre pour aller dire à ses hôtes arabes qu’Israël lui a demandé de mener une médiation dans le conflit israélo-palestinien, ce qui n’a jamais été le cas. Muni du mandat de l’Oci, il s’est tourné vers l’ambassade d’Israël pour dire que l’Oci l’a chargé de mener une médiation dans le conflit israélo-palestinien, et qu’il souhaitait s’entretenir avec Peres. Peres essaiera de l’éviter pendant deux semaines, et finit par accepter de parler au président Wade. Non sans lui avouer que « le dossier est assez complexe, et une nouvelle médiation risquerait de compliquer les choses ». Wade s’est non seulement entêté, mais il a demandé, dès le lendemain, à se rendre en visite officielle à Tel Aviv. Nouveau refus des israéliens. Pour contrer l’initiative, ils lui ont demandé comme préalable à sa visite, d’ouvrir une représentation diplomatique en Israël. Les israéliens savent qu’il est coutumier des faits. Avant d’engager la médiation entre le Tchad et le Soudan, le président de la République avait fait part de son initiative au département d’Etat américain. Quand Condolleza Rice lui a adressé des félicitations pour son initiative, il s’est saisi de cette occasion pour dire aux deux parties qu’il s’engageait à la demande des Etats-Unis. Jamais personne ne lui a promis le soldat Shalit. C’est la parole d’un cabaretier. Comme toujours, ceux qui lui tendent l’oreille sont ses premières victimes.
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