Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Sujets sur le Sénégal

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:42 pm

SPORT EXTREME
Souleymane Jules Diop Jeudi 26 Juin 2008

« Il n’y au monde que deux manières
de s’élever, ou par sa propre industrie,
ou par l’imbécilité des autres »
LA BRUYERE




Quand Talla Sylla a été sauvagement lynché le 5 octobre 2003, les journalistes ont attendu « les résultats de l’enquête » comme on attend le résultat d’un match. Avec leur déontologie soudée à la cheville, ils s’en sont tenu « aux faits », leur corps arbitral. Quand le témoin privilégié de l’assassinat de Mamadou Lamine Badji s’est imprudemment « suicidé », même démarche professionnelle : « aucune attaque, limitez-vous aux faits, rien que les faits ». C’est la sage attitude que la Presse nationale a adoptée quand un délinquant présumé est décédé dans les locaux de la police de Kolda, visiblement torturé à mort. Les autorités de l’Etat n’ont jamais présenté la moindre excuse, et là où des enquêtes ont été menées, elles n’ont jamais donné de résultat. Quand il l’a pu, le président de la République a lui-même verrouillé à double-tour certaines « affaires », pour qu’on n’en parle plus.

Il y a quelques jours, des syndicalistes dont la seule faute est d’avoir déposé un préavis de grève ont été entendus, menacés. Là aussi, même noble attitude de la part des journalistes : « monsieur Mbaye a été convoqué à la Dic ». Un point, un trait. Nous nous croyons trop au-dessus des autres segments de la société pour pouvoir dire ce que nous estimons juste ou injuste. Nous disons « les faits ». C’est ce dogmatisme journalistique que nous sommes en train de payer par un terrorisme d’Etat. Le journalisme a rejoint la politique parmi les sports dangereux qui peuvent tuer au Sénégal, même en dehors des aires de jeu.

Vous serez étonnés de l’entendre, mais ces voyous sont les mêmes qui avaient organisé l’expédition punitive contre Talla Sylla. Le leader du Jëf-Jël en était sorti avec l’arcade zygomatique fêlée, pour qu’il ne chante plus ; le journaliste de Futurs Medias s’en tire avec une boîte crânienne ouverte. Sans doute « pour qu’il n’oublie pas ». D’autres anonymes sont morts dans la plus grande indifférence. Si nous avions crié à l’époque à l’injustice et exigé que les criminels soient punis, marché un samedi comme nous projetons de le faire, saisi les organisations internationales comme nous le faisons aujourd’hui, nous aurions évité à Campbell Dieng ce tacle brutal. Quand l’autorité morale la plus haute, soit le président de la République, a été interrogé récemment sur cette affaire, il a déclaré que dans nos traditions, l’injure se venge par le sang, « comme au Moyen-âge en Europe ». Les journalistes en ont ri. Ils en pleurent maintenant. Les Sénégalais s’en mordent les doigts. Voilà tout.

Ce qui s’est passé samedi au stade Leopold Sédar Senghor est un précédent dangereux. Mais nous avons laissé faire. Il y a quelques mois, Ousmane Ngom a envoyé le même groupe de policiers arrêter d’autorité la diffusion de la répression qui s’était abattu sur les marcheurs « contre la faim ». L’alerte devait venir de là. La Presse, dernier refuge de la moralité urbaine, a continué à s’en limiter « aux faits ». Les faits ont fini par la rattraper, alors qu’elle devait être la première colonne dans la lutte contre l’arbitraire.
Et je ne pense pas que nous ayons pris une claire conscience de la dérive policière qui guette. Ce n’est pas une menace contre les journalistes. C’est une menace contre le pays entier. Il serait dangereux d’enlever la responsabilité à la puissance publique pour habiller un joueur, sous le prétexte qu’il aurait « voulu se venger ».

Après la chute de Saddam Hussein, les grandes démocraties avaient dessiné une nouvelle carte de la dictature mondiale, dont elles prophétisaient le début de la fin. Elles avaient dressé la liste des derniers maîtres du monde. On y trouvait, en bonne place, Robert Mugabe et… Laurent Gbagbo. Le Sénégal y était peint dans les mêmes couleurs que les Etats-Unis et la France. Une grande démocratie où régnait une transparence enviable à tout point de vue. Puis arrivait le chef des chefs, Kim Jong-il. Son pays y était présenté comme une dictature : son économie en banqueroute, sa population affamée. La population y souffrait d’un froid sibérien en raison de la « pénurie d’Energie ». C’est exactement ce qui se passe sous Wade. Le président sénégalais y ajoute un culte de la personnalité sans pareil. Personne ne peut se mettre à sa hauteur. Il a même érigé une grosse affiche dédiée à son culte, à côté du Port Autonome. Deux agents de police s’y relaient nuit et jour, pour garder intacte l’image rajeunie du Grand Timonier. Une démocratie selon son bon vouloir, quitte à la faire dans le sang.

Quand, au début de l’année, les unités d’élite du GIGN et de la BIP devaient être formées pour les besoins du sommet de l’Oci, elles ont pris la direction de la Jordanie. C’est un grand changement dans la philosophie qui a guidé jusqu’ici la formation des spécialistes de la protection rapprochée et des groupes d’intervention. Notre élite policière suivait une formation en France, et par la suite allait se perfectionner en Louisiane, aux Etats-Unis. On lui apprenait les techniques de la garde rapprochée, les techniques d’intervention, dans un Etat de droit. Les policiers et gendarmes y apprenaient le respect de la personne humaine. Ils sont allés cette année se former dans une monarchie du Golfe où on leur apprend d’abord à réprimer. C’est l’une des populations les plus dociles du monde, qui nous prépare peut-être à notre monarchie naissante.

Mais cette tendance est aussi vieille que l’alternance. Quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir, il a démobilisé tous les professionnels de la Brigade d’intervention polyvalente et du Gign qui assuraient la sécurité du président Diouf et de ses ministres, sous le prétexte qu’ils servaient son « ennemi ». Il n’avait confiance qu’en ses calots bleus, contre des professionnels aguerris qui ne demandaient qu’à servir. C’est ainsi que d’anciens chômeurs comme Lamine Faye, qui n’ont eu aucune formation, ont été bombardés « capitaine de police ». Les moins chanceux qui étaient dans l’entourage des anciens responsables du Pds ont été projetés sans sommation « auxiliaires de police », avec des contrats qui finissent « avec le mandat du président de la République ». Au sein de la gendarmerie, les jeunes qui allaient se perfectionner en France après leurs trois mois de formation ont été directement pris dans l’entourage du président Wade et de sa famille. Des jeunes comme Victor Kantoussan se sont retrouvés du jour au lendemain en costume-cravate sans avoir jamais combattu, parfois sans avoir tiré le moindre coup de feu. Ce sont ces calots bleus, souvent d’anciens délinquants, qui ont investi les unités d’intervention de la police, et sont devenus les « hauts gradés du Sopi ». Ils boivent les paroles de Wade comme des versets du Coran et s’exécutent comme de vrais talibans.

Le président de la République sait, le premier, que leur impunité est la première garantie de leur obéissance aveugle. On veut faire croire qu’ils ont tabassé Campbell pour se venger d’une délation lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Mais ils ont tabassé un ancien Premier ministre, Moustapha Niasse, qui ne faisait que marcher ! Je n’ai pas vu une autorité de l’Etat regretter cet incident qui a fait le tour du monde, photo à l’appui. C’est pourquoi il ne faut pas espérer une punition contre ces bandits. Ils ont un parrain trop puissant, Abdoulaye Wade. Depuis 8 ans, il rêvait d’en foutre une à un plumitif. C’est maintenant fait. Ceux qui l’ont côtoyé ces derniers jours, même parmi ses collaborateurs, sont stupéfaits. A chaque fois que le journaliste hurle à l’heure du journal de la RFM, le président se surprend en train de rire. Son silence est d’ailleurs parlant. Rien ne l’empêche de condamner cet acte ignoble et de promettre des sanctions contre les coupables. Mais on sait quels résultats de telles promesses ont donné par le passé. Suite au décès de Mamadou Lamine Badji, il avait promis la justice à sa famille, et 50 millions à ceux qui l’aideraient à trouver le coupable. Le premier qui pouvait mener aux criminels « s’est suicidé » comme par enchantement.

Cette correction est malheureuse, mais c’est une leçon pour tous ceux qui pensaient qu’on pouvait encore espérer de Wade un minimum de bon sens. Les journalistes oublient souvent qu’ils ne peuvent pas constituer un quatrième pouvoir. Ils peuvent au mieux être un contre-pouvoir. Et c’est parce qu’ils sont un contre-pouvoir que leur rôle ne doit pas se limiter à dire « tel a volé ». Ils doivent ajouter que voler est puni par la loi, et que la loi doit s’appliquer en toute circonstance. S’ils ne jouent pas ce rôle de critique, ils participent à réunir les conditions qui rendent impossible l’exercice même de leur métier. Il n’y a aucune pudeur à combattre Abdoulaye Wade, à partir du moment où son projet est clairement de faire taire tout le monde pour faire ce qu’il veut. Sans le professionnalisme de cette presse qu’il lynche quotidiennement, il ne serait jamais devenu président. Nous lui avons déroulé le tapis rouge et il nous a craché dessus. Il y a deux ans, il avait retenu un budget voté par l’Assemblée nationale pour la presse, sous le prétexte que son argent ne va pas à des gens qui « l’insultent ». Il le disait au moment-même où il instruisait une presse de caniveau pour insulter d’honnêtes citoyens qui ont servi ce pays. Au plus fort de ce combat, pendant que les Sénégalais étaient dans le noir, « Il est midi » avait même bénéficié d’un groupe électrogène acheté à 20 millions avec l’argent du contribuable. Même dans le noir, les journalistes martelaient encore les faits, rien que les faits. Jusqu’en enfer.

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:44 pm

Lamane Wade
Souleymane Jules Diop Jeudi 3 Jui 2008


« Le grand avantage de la monarchie,
c'est que personne ne peut prétendre
y occuper la première place ».
Michel PONIATOWSKI



Huit années après avoir pris possession des sénégalais, le président de la République, « doublevé » comme l’appellent maintenant ses intimes, va étendre son règne sur les terres. Son pouvoir seigneurial s’étend maintenant à tout ce qui est du Domaine national, son nouveau gadget. En pratique, 98% du territoire national. Les paysans ne comprennent toujours pas pourquoi on veut leur prendre leurs terres un an seulement après leur avoir demandé le « retour vers l’agriculture ». Le chef de l’Etat, comme si l’autorité du ministre de l’Intérieur ne suffisait pas, a adressé une lettre à tous les présidents de communauté rurale, 320 au total, pour leur demander de réserver 1000 hectares chacun à son plan « Goana ».

Sur le principe, ces paysans n’ont aucune raison de rouspéter. Depuis la Loi sur le domaine national de 1964, la terre appartient à tout le monde et n’appartient donc à personne. Depuis le 19 avril 1972, sa distribution est confiée à la communauté rurale. L’idée est aussi vieille que le « socialisme africain » cher à la première République. Mais elle procédait d’une noble ambition : libérer les paysans de l’emprise des marabouts pour Dia, des grands propriétaires terriens pour Senghor. Mamadou Dia a payé pour son abnégation. Senghor s’est montré plus réaliste. Dans les faits, rien n’a vraiment changé. Les dignitaires de l’ancien régime ont pris le contrôle des conseils ruraux et distribué les terres à leur clientèle politique, souvent issue de l’ancienne aristocratie.

Si la loi sur le domaine national a été un échec lamentable, ce qu’il faut reconnaître, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas une bonne loi. C’est qu’elle a reproduit ce qu’elle était sensée combattre, l’accaparement des terres par quelques féodaux véreux. Après s’être libérés des rois, les paysans se sont inféodés aux marabouts. Le président Diouf a, le premier, ouvert la voie en attribuant la forêt classée de Khelcom à l’ancien khalife général des mourides. Nous n’avons jamais mesuré l’impact du déboisement de 45 000 hectares sur les conditions de vie des populations, puisque cette région reste la plus pauvre du pays. Des forêts ont été déboisées par une main d’œuvre servile sans que nous ayons jamais mesuré les retombées économiques de cette importante décision.

Le 10 avril 2007, soit 18 ans après l’affectation de Khelcom, le président Wade a signé un décret déclassifiant la forêt de Pout, pour donner 9000 hectares à son marabout Serigne Saliou Mbacké et 1000 hectares à son « ami » Serigne Mansour Sy. Le président de la République était déterminé à y conduire de force les clandestins rapatriés d’Europe. Peut-être pour les punir d’avoir tenté de se sauver.
Mais surtout, la décision est une violation de la loi sur le domaine national. Ce n’est pas le président de la République qui attribue les terres. C’est le Conseil rural qui les attribue aux personnes habitant ces localités ou des localités ayant un même « intérêt rural ». Depuis la loi sur la décentralisation de 1996, ces compétences se sont étendues à l’Environnement, aux Domaines et à l’Aménagement du territoire. Or, depuis huit ans, Abdoulaye Wade ne fait que s’attribuer des terres et en distribuer à ses amis au mépris de la loi. Le service des Cadastres a été remplacé par une commission siégeant à la présidence de la République. Officiellement pour empêcher la spéculation foncière. Mais c’est le président de la République qui découpe et vend, après avoir repris toutes les terres qu’il avait vendues avant son arrivée au pouvoir.
Une commission dirigée par Serigne Diop avait été mise en place pour pousser vers une nouvelle loi plus souple qui permette la vente des terres à ceux qui auront les moyens d’acheter. Le ministre de tutelle a été clair à ce sujet, en déclarant le 25 mai dernier que « ceux qui sont prioritaires sont ceux qui détiennent les moyens ». Ces manipulations dangereuses n’ont pas fait qu’opposer des mourides aux éleveurs peuls, quand Wade a voulu attribuer le ranch de Dolly à son marabout. Elles ont opposé au sein de cette confrérie des membres d’une même famille. La sensibilité de la question devait à elle seule faire reculer Abdoulaye Wade. Mais il ne recule devant rien.

Je me rappelle d’une discussion que j’aie eue avec l’abbé Diamacoune sur les raisons pour lesquelles, homme d’église respecté, il a pris la tête de la rébellion casamançaise. Il m’a parlé de ses terres de Kandé, petite banlieue de Ziguinchor, qui lui ont été prises par l’Etat ; de son oncle, à qui les colons ont brûlé la barbe parce qu’il n’avait pas produit assez de… riz ! Nous ne tirons pas des leçons de l’histoire et des erreurs passées ! Dans la vallée du fleuve Sénégal, une application de la même logique foncière a mené au désastre. Le gouvernement mauritanien a fait face à la colère des populations sédentaires quand elle a voulu confier les terres de la vallée à des promoteurs agricoles parachutés de Nouakchott. A chaque fois que ces politiques ont concerné les masses paysannes, elles ont été bien accueillies. Des populations du Sine-Saloum se sont bien intégrées par vagues successives au Sénégal oriental sans susciter la moindre colère. Mais que les populations locales acceptent mal l’attribution de 8 000 hectares à un ressortissant espagnol est compréhensible. On ne peut pas réussir une politique agricole par-dessus la tête des paysans, en attribuant à Aïda Mbodj des terres qui ne lui appartiennent pas. Ramener l’ère des Lamanes semble sa vocation première. C’est l’exploit que tente de réussir le président de la République, toujours fasciné par son propre quotient intellectuel. Quand Wade a lancé son plan Goana le 17 avril dernier, il avait prévu pour le mois d’octobre prochain 2 millions de tonnes de maïs, 1 million de tonnes d’arachide d’huilerie, 500 mille tonnes de riz Paddy, 2 millions de tonnes pour les autres céréales. Nous risquons d’ajouter à la déception des paysans, une crise foncière que personne ne peut souhaiter à ce pays. La collectivisation outrancière des terres a d’ailleurs de quoi surprendre, pour des gens qui pratiquent le libéralisme comme une religion. Mais c’est le propre du président de la République. Il va désapproprier les paysans en socialiste convaincu et les revendre aux plus nantis en libéral enflammé. C’est cette capacité à changer de conviction qu’il appelle la « nuance ». Il veut tout réformer, alors que les Sénégalais lui demandent de se réformer. J’ai été fasciné par la précision avec laquelle nous reproduisons les crises qui ont marqué le Zimbabwé des dernières années : inflation difficile à maîtriser, chef d’Etat trop âgé et pour couronner le tout, une réforme agraire qui mène le pays au désastre. Mais il est si haut perché entre le ciel et la terre qu’il ressemble à une comète. Du haut de la planète mars, le Sénégal ressemble à un paradis bien mérité.

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:45 pm

L’horreur ne se refuse pas !
Souleymane Jules Diop Jeudi 10 Jui 2008

« Je sais maintenant qu’à l’origine,
le chaos fut illuminé d’un
immense éclat de rire »
René DAUMAL



Vous voulez savoir quand un pays fout le camp ? Quand ceux qui l’ont fait foutent le camp ! Nous, sénégalais d’en bas, sommes portés à une méfiance naturelle à l’égard des hommes « riches ». Mais Bara Tall force le respect. De parents pauvres et analphabètes, il est devenu un ingénieur polytechnicien respecté. Il a pris en main l’entreprise Jean Lefebvre quand son propriétaire français a mis la clé sous le paillasson. Soutenu par quelques banques de la place, il a redressé l’entreprise pour en faire un fleuron du BTP sénégalais qui emploie des milliers de pères de familles au Sénégal et un peu partout en Afrique. Il a su le dire avec la force de conviction et la retenue qui le caractérisent. Mais je ne tairai pas ce que l’homme a réussi à faire et que l’argent seul ne donne pas : il a tiré de sa fortune amassée à la sueur de son front une prime à son engagement social. C’est cet homme qu’ont vient de forcer à l’exil, dans un silence quasi unanime. Son groupe de presse tente de tenir le coup. Mais le rapport de force est tellement inégal ! Il y a huit ans, Abdoulaye Wade a voulu faire main basse sur son obsession de l’époque, le groupe Com 7. Bara Tall était, de tous, le moins intransigeant. Le plus téméraire, Cheikh Tall Dioum, présenté jusqu’en 2000 comme un modèle de réussite sociale, a été accusé de fraude sur le sucre et jeté en prison comme un malpropre. Youssou Ndour a failli le suivre suite à une affaire de fraude sur... des cassettes ! Le groupe que ces trois entrepreneurs sénégalais avaient bâti de leurs propres mains appartient maintenant à 40% à Pierre Aïm, un ancien prête-nom fatigué de voir les Wade essuyer leurs pieds sur lui.

Les ennuis de Bara Tall ont commencé avec les chantiers de Thiès. Précisément quand le président de la République lui a demandé d’accepter le remboursement de 11 milliards de francs Cfa dans le cadre des chantiers de Thiès, pour obtenir l’inculpation d’Idrissa Seck. « On va te mettre cet argent dans un compte bancaire », lui a dit Abdoulaye Wade. « Mon honneur et ma réputation ne me permettent pas de le faire », lui a répondu sèchement M. Tall. Une semaine après, l’ingénieur s’est retrouvé entre quatre murs à Rebeuss. Toute l’originalité de Wade est là : si tu reconnais que tu as volé, tu restes libre. Si tu ne le reconnais pas, tu vas en prison ! Avec la trivialité qu’on lui connait, il obligeait un homme à choisir entre le mensonge et la prison, vivre l’horreur ou salir son honneur.

C’est parce qu’il a dit non à ce compromis répugnant que Bara Tall mérite notre respect. Aller en Gambie chez un président de la République qui menace tous les jours d’enterrer ses opposants 10 mètres sous terre n’a rien de rassurant. Mais partir n’est pas toujours un choix. C’est parfois une obligation. C’est ce que font tous les jours nos pauvres jeunes dans des pirogues de fortune. Pourquoi un riche dépossédé de ses biens ne le ferait-il pas ? Yaya Jammeh est à la recherche d’un compatriote nommé Amet Sarr, qui lui a filé du mauvais mazout avant de prendre la fuite. Il reçoit des mains d’Abdoulaye Wade un homme honnête. Voilà ce à quoi nous sommes réduits : étrangers dans notre propre pays. Bientôt n’y auront droit de cité que des Abou-Khalif, des Jaber al Sabbah. Ils se sentent au Sénégal du prince héritier Karim Wade comme chez eux. Ils ont déjà pris possession du port de Dakar et de l’île de Gorée. Il faudra bientôt avoir l’échine ramollie ou faire ce que Wade a dit à notre entrepreneur : eh bien Barra, barre-toi. Derrière les barreaux !

Pendant que le président de la République s’acharne sur des présumés voleurs, ses hommes se livrent à un pillage systématique. Depuis six mois maintenant, le Sénégal ne fabrique plus les fameuses cartes d’identité numérisées lancées par Ousmane Ngom. La raison est que la Société De la rue, partenaire de la famille Sy, n’a pas été payée. Pendant toute la période qui a précédé la dernière présidentielle, le président de la République a laissé faire ses hommes d’affaires, dans des conditions rocambolesques. Du 12 septembre au 17 octobre 2005, 135 millions au moins ont atterri dans les comptes personnels de Pape Ousmane Sy, conseiller du président de la République en Nouvelles technologies et de son frère Arona. L’argent passait par un de leurs employés, Ndiaga Fall. L’affaire a éclaté quand Ndiaga Fall, un petit employé payé 130 000 francs, a refusé de verser la dernière tranche de 100 millions qui a transité par le compte d’une nouvelle société que les Sy l’ont aidé à monter, avec une adresse fictive ! La justice, malgré des preuves évidentes de pratiques frauduleuses, a fermé les yeux. Le père de Pape Sy était ministre de la Justice. Abdoulaye Wade a laissé faire jusqu’à ce qu’au lendemain de la présidentielle, l’affaire éclate de nouveau, avec une rupture du contrat qui liait De la Rue à l’Etat du Sénégal, pour un montant de 14 milliards de francs Cfa. Au lieu de porter cette affaire rocambolesque au clair et demander des comptes à Pape Sy et Arona Sy, le président de la République a nommé leur père ministre d’Etat ministre de l’Intérieur. Il se trouve qu’aujourd’hui, si la présidence de la République devenait vacante, le Sénégal serait dans l’incapacité matérielle d’organiser de nouvelles élections dans les 6 mois. Ce sont les mêmes machines qui comportent le fichier électoral et le fichier national d’identité. Et c’est la même société qui fabriquait les deux cartes « numérisées ».

Avant d’atterrir à la présidence de la République, Pape Sy était « informaticien » dans la société Amex montée par Cheikh Tidiane Sy et les frères guinéens Diané, qu’il a connus chez Mobutu, au Zaïre. Son CV comporte la mention « maths sup ». Aucune trace d’un diplôme universitaire, pas le moindre diplôme en informatique. En 2000, retournement de situation : il est devenu l’un des plus grands spécialistes en Nouvelles technologies. Il est le premier sénégalais à avoir présenté une dissertation devant le Conseil des ministres, pour expliquer comment il a vendu la troisième licence de téléphonie à Sudatel. La preuve que ces gens ne se privent pas, c’est qu’après les félicitations adressées à Karim Wade et Pape Sy pour la vente de la licence Telecom, les membres de l’Artp se sont partagé 150 millions Cfa issus de cette même vente, « pour avoir participé à la vente ». Personne n’a vu trace des milliards de Sudatel.
J’ai appris avec stupéfaction qu’Amadou Racine Sy a vendu la moitié des actions de la Sonatel détenues par l’Ipres à Genesis, sans autorisation du Conseil d’administration de l’institution. C’est l’acte le plus grave qui soit posé contre la République : transférer des milliards qui allaient dans les comptes de l’Etat à une petite bande de copains. Pendant qu’on s’en prend à de pauvres innocents dont le seul tort est d’avoir refusé de « coopérer ».

Le gouvernement agit de la même manière avec les commerçants. Il laisse perdurer la pénurie de riz, pour s’acharner inutilement sur de petits commerçants. Au lieu de s’en prendre au coupable, on s’en prend au coupé. J’ai entendu un agent du ministère du Commerce déclarer avec conviction qu’à Matam, il y a un stock de 150 tonnes de riz disponible. Mais 150 tonnes, c’est une consommation de deux jours pour la région ! Ce qui se passe est plus grave. Les grands importateurs n’importent plus, parce que le gouvernement n’a pas tenu son engagement de payer la péréquation sur le riz. Ils n’importent plus parce qu’Abdoulaye Wade avait promis de déverser 600 000 tonnes de riz indien dans le pays. C’est ce que coûte un un chef d’Etat qui ne sait pas tenir ses dentiers en place. Et pour régler le problème, ironie de l’histoire, il envoie aux petits commerçants un ancien de l’Oncad, Mamadou Diop Decroix. Ils commencent tous à dire que « s’il faut risquer la prison pour 10 francs Cfa de bénéfice, autant ne plus vendre du riz ».

C’est saisissant, la force avec laquelle nous voulons entrer dans la modernité, tout en restant un pays féodal. Je veux parler de cette sortie des imams, saluée un peu partout dans le pays, d’est en ouest, par des « allah Akbar ». Après la disparition du roi tout puissant, nous avons consacré le marabout tout puissant. Avec une connaissance parfois approximative des écritures coraniques, il peut dire le juste et l’injuste, le bon et le mauvais. Le pays crève de faim, mais nos mollahs ne le voient pas. Tout juste à leurs portes, un enfant a été battu et laissé pour mort pour la petite somme de 200 francs. Vous ne les verrez jamais condamner ces actes barbares. Ils n’ont la dent dure que pour les journalistes. Tous n’ont pas la cervelle gelée. Mais beaucoup pensent comme les géniteurs de la démocratie athénienne : les enfants et les femmes n’en font pas partie.
La presse a une grande part de responsabilité dans cette doxacratie avilissante. Nous voulons donner la parole à tout le monde. Je ne comprends pas au nom de quelle logique nous devons boycotter la cérémonie du Lion d’or et nous ruer quelques jours plus tard sur la Conférence de presse improvisée de Farba Senghor. S’il n’était pas arrivé en retard, on verrait à la Une des journaux : « Farba Senghor insulte les journalistes ». Mais vous lui avez tendu votre micro ! Et malheureusement, une bonne partie de l’opinion pense que parce que les journalistes rapportent les propos de Farba Senghor, tout ce qu’il dit est vrai. Une corporation a rarement poussé le masochisme aussi loin.
SJD

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