Mali: un trésor en péril

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J’hésite depuis des semaines malgré les sollicitations affectueuses de mes amis à écrire sur le Mali, ce pays merveilleux soumis à des convulsions meurtrières. Ce pays, je l’ai parcouru de long en large, je l’ai vécu et respiré, et j’y compte de nombreux amis de toutes les régions et de toutes les ethnies qui composent ce peuple chatoyant. 
Sahraoui né à la frontière de cet immense territoire deux fois et demi grand comme la France, j’ai ressenti toute ma vie le même sentiment  de tiraillement que mes contemporains du Nord Mali. 
Depuis le 27 février 2008, quand accompagné d’une centaine des miens, j’ai regagné la mère patrie, l’épicentre de mes racines, le Royaume du Maroc, je me suis  réconcilié avec mon ‘’histoire génétique. 
J’ai pris cette décision lourde de conséquences et qui a coupé ma vie en deux, suite au discours de Laâyoune  de Sa Majesté Mohammed VI, annonçant l’autonomie du Sahara. J’ai choisi la voie de la raison, de la vérité historique et du réalisme, sans calculs vulgaires ou mercantiles. 
Depuis que je suis rentré, il y a bientôt cinq ans, j’essaie sans jamais me lasser, de faire valoir  mon opinion au sein d’un univers sahraoui brisé par les aléas de l’histoire, de la politique et les interférences aux conséquences dommageables de certains voisins (Voir la série de mes articles parus dans Libération et sur Google). 
La situation du Mali, ce pays frère, suscite en moi, à l’évidence, une grande tristesse  et des interrogations douloureuses. Aujourd’hui, je livre mon analyse sur ce pays, analyse dictée par l’expérience et l’affection que je voue à tous les Maliens, les Touaregs en particulier que je considère comme les miens.                                        
Le Mali a la particularité d’avoir des frontières communes avec 7 Etats d’Afrique…autant dire que ce qui le touche, touche, a minima, sept pays de la planète ! Il faut se représenter le Mali comme une mer intérieure dont les tempêtes peuvent être dévastatrices pour toute l’Afrique de l’Ouest ! 
Ce territoire immense, est aujourd’hui, littéralement coupé en deux. 
Le Nord, surnommé Azawad, occupe les deux tiers du territoire malien. 
Il est sous le contrôle de groupes disparates dont les objectifs affichés sont diamétralement opposés: 
Le Mouvement national de libération de l’Azawad (M.N.L.A) a proclamé l’indépendance, le groupe islamiste Ançar Dine  veut appliquer la Charia dans tout le Mali, le Front national de libération de l’Azawad (F.N.L.A) formé d’Arabes de Tombouctou dont les objectifs sont flous, Aqmi et sa branche dissidente le Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (M.U.J.A.O…) aux activités terroristes… 
Le Sud, un tiers restant du territoire  dans lequel vivent les  90% de la population, est dans une situation confuse depuis le putsch mené par des jeunes 
officiers et sous-officiers de la caserne de Kati à 15 km de Bamako . 
Ce putsch a mis fin au pouvoir du président Amadou Toumani Touré (A.T.T.) quelques semaines seulement avant la fin de son deuxième et dernier mandat… 
Il n’y a donc plus au Mali  de Président élu, ni d’institutions républicaines crédibles, ni de véritable hiérarchie militaire. 
Paradoxalement le pays semble tourner avec la Baraka d’Allah et les traditions vertueuses de ses populations, il faut le rappeler, parmi les plus vieilles et les plus nobles du continent noir. 
Ce que j’écrivais il y a plus d’un an, sur les vertus de la société malienne, se démontre aujourd’hui ! (voir mon article : ‘’Modèle de démocratie : une aventure ambiguë. Libération du 22.09.2011 ou sur Google). 

Ce peuple frère donne une preuve éclatante de l’enracinement des valeurs sociales héritées de plusieurs siècles de civilisation africaine! Il survit en l’absence de pouvoir institué, car son socle fondateur est la cohésion sociale, la paix et la solidarité. 
Les leçons du «Kouroukan Fouga» ou charte du Manden, l’une des premières Constitutions du monde,  datant de près de 1000 ans, édictée par l’empereur Soundiata Keïta, sont dans le subconscient collectif des Maliens. 
Les Maliens sont les héritiers d’empires glorieux qui ont marqué l’histoire de l’Afrique occidentale et contribué à la civilisation de l’universel : l’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhoi et l’empire chérifien dans tout le Nord de l’actuel Mali. 
Le  pays a connu un brassage civilisationnel impressionnant comprenant un apport arabo- berbéro-musulman, , Malinké, Mandingue, Dogon, , Bobo, Sosso, Sonrhaï, , etc. 
A ce titre, on peut affirmer que le peuple malien est un véritable conservatoire civilisationnel ! 
C’est ce qui explique sans aucun doute, l’impressionnante stabilité du pays dans la déconfiture des institutions de l’Etat depuis quelques mois. 
La situation qui prévaut actuellement au Nord- Mali n’a rien de surprenant.  Le plus novice des observateurs ne peut que s’en apercevoir. Les germes de cette discorde datent de l’indépendance de l’ex-Soudan français, devenu la République du Mali en 1960. 
En 1958 les chefs coutumiers touaregs,  avaient envoyé au Général de Gaulle une lettre motivée pour l’exhorter à ne pas les rattacher au pouvoir de Bamako… 
Les frontières héritées de la colonisation, ont été tracées à la règle par des officiers colons, suivant des critères de prédation qui n’ont rien à voir avec l’histoire, la sociologie, la culture des peuples colonisés et des nations millénaires. 
De grands ensembles socioculturels ont  été amputés, balkanisés, écartelés, et les peuples qui les composent, asservis et pour finir, rabaissés et durablement humiliés. 
A titre indicatif, en 1943, M. Christian Legret, gouverneur de la Mauritanie, a évité, sur simple recommandation, aux deux régions les plus peuplées de l’actuelle Mauritanie, les Hodhs, à l’époque rattachés à l’ancien Soudan français, de subir le même sort que l’Azawad .On mesure avec quelle légèreté des pans entiers de populations et d’êtres humains, avec leurs coutumes, leur histoire, leurs racines, leur mémoire génétique…basculaient d’un côté ou d’un autre… Les frontières se déplaçaient à l’humeur et au bon vouloir des administrateurs coloniaux. En Europe, tout près de nous, l’éclatement des Balkans et les morts de Sarajevo…le martyre des deux Allemagnes et les familles coupées au hachoir, la chute du mur de Berlin enfin…sont là pour illustrer de quel malheur les hommes se sont rendus coupables en jouant aux apprentis sorciers…Le Maroc a connu cette réalité cruelle, les stigmates  de la prédation dont il fut l’objet sont à fleur de terre…Elles ont entrainé leurs lots de souffrances, déchirements et séparations qui perdurent aujourd’hui… 
Mais revenons au Mali, depuis l’accession du pays à l’indépendance, les rebellions se sont succédé, rappelant avec une acuité douloureuse cette question identitaire. 
La marginalisation du Nord par les différents pouvoirs de Bamako a, au fil du temps, exacerbé ce sentiment de « greffon sur un corps étranger » et provoqué de nombreuses rébellions. 
Le pouvoir de Bamako, a constamment répliqué par une répression brutale et aveugle qui n’a jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation internationale ou même d’une repentance nationale. 
Le souvenir de la tuerie aveugle de Léré (région de Tombouctou) le 20 mai 1991, tout près de nous, est saignant dans les esprits des Touaregs et des Arabes du Mali. 
Les différents accords conclus entre la rébellion du Nord et l’Etat malien, sous l’égide et l’influence  exclusive du pouvoir algérien, accords de Tamanrasset en janvier 1991, Pacte national en avril 1992, accords d’Alger en juillet 2004, ont été  mal ficelés et mal appliqués. Ils répondent en premier lieu aux intérêts géopolitiques du puissant et encombrant voisin du Nord. 
Ils ont eu un effet de report sur une question identitaire fondamentale qu’il fallait régler définitivement, d’autant qu’elle est posée dans plusieurs pays, l’Algérie en premier lieu ! 
La déception née des accords imposés par l’Algérie, la démission de l’Etat face à ses responsabilités sécuritaires, la compromission de hauts fonctionnaires avec les trafiquants de la mort, le laxisme tout court, sont à l’origine de la  nouvelle déflagration qui a secoué les fondements d’une nation phare. 
L’un des dommages collatéraux de la désagrégation de la Jamahiriya libyenne, 
est la prolifération d’armes destructrices et de moyens de transport dans la zone sahélienne. Avec cette puissante logistique, sur fond de frustrations et d’amertumes, les velléités indépendantistes se sont réveillées sur un territoire en déchéance de souveraineté. 
Alors face à la situation actuelle, faut-il défendre le principe sacro-saint de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation  ou soutenir l’indépendance de peuples ayant une culture, une histoire, un mode de vie, une organisation sociale, différents de ceux des autres Maliens du Sud ? 
La question est brûlante ! En effet, cette vaste et poreuse zone désertique, considérée comme «  territoire inutile » par Bamako, a été abandonnée depuis plus d’une décennie au terrorisme et aux trafics en direction du Maghreb et de l’Europe. Aujourd’hui, les enjeux dépassent la légitimité du combat  du peuple touareg, greffé artificiellement à un corps étranger, marginalisé et blessé dans sa dignité et qui a vu longtemps, ses droits confisqués… 
La sécurité et la stabilité d’une zone sensible appelée le Sahel et ses conséquences sur la sécurité du monde, masquent désormais les droits et aspirations légitimes d’un peuple martyrisé. Un énorme abcès de  fixation s’y  est développé nécessitant une vision globale, une réflexion synthétique, prenant en compte de très nombreux paramètres dont le plus saillant est désormais la sécurité du Sahel, de ses habitants  et du reste du monde. 
Le deuxième et décisif paramètre à prendre en compte, est la composition du tissu social de la région, avec l’expression souveraine des populations qui le composent. On ne saurait faire l’impasse sur leur avis. 
 

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