Joseph Ndiaye, un « conteur » de l’esclavage

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Nécrologie. Son extraordinaire talent de conteur a transformé une maison de maître de l’île de Gorée (Sénégal) en symbole de la traite négrière, étape incontournable du tourisme mémoriel en Afrique de l’Ouest. Boubacar , qui est mort, vendredi 6 février, à Dakar, à l’âge de 86 ans, a occupé entre 1964 et 2004 les fonctions de conservateur de la «  », mémorial de l’esclavage créé peu après l’indépendance par Léopold Sédar Senghor, le premier président sénégalais.DATES CLES
15 octobre 1922
Naissance à Rufisque.
1944
Participe à la libération de la France.
1964-2004
Conservateur de la « Maison des esclaves » de Gorée.
6 février 2009
Mort à Dakar.
NECROLOGIE Joseph Ndiaye, un « conteur » de l’esclavage
Les historiens ont montré, dans les années 1990, que le bâtiment ocre n’était pas l' »esclaverie » que présentait Joseph Ndiaye aux visiteurs, mais une demeure où avaient été employés des esclaves à des tâches domestiques. Ils ont établi que l’île de Gorée avait joué un rôle mineur dans le commerce triangulaire.
Mais la verve révoltée du conservateur a agi si efficacement que le lieu est désormais associé, pour des foules de visiteurs, aux onze millions d’Africains déportés aux Amériques entre le XVIe et le XIXe siècle. Sur un ton enflammé, Joseph Ndiaye faisait revivre la capture des futurs esclaves, leur vente sur les marchés, leur détention et leur transport dans des conditions épouvantables, puis leur vie dans les plantations américaines. Sa mise en scène artisanale savait susciter culpabilité et émotion chez tous les visiteurs qu’il menait dans le couloir sombre conduisant à l’océan, jusqu’à la « porte du voyage sans retour ». Un parcours qu’ont emprunté les grands de ce monde, de Bill Clinton à Nelson Mandela en passant par le pape Jean Paul II. Dès 1978, la maison, dont les murs étaient parsemés de citations collées par le conservateur lui-même, avait été inscrite par l’Unesco au patrimoine de l’humanité.

La conservation de la « Maison des esclaves » ne constituait pourtant que la troisième vie de Joseph Ndiaye. Né en 1922 à Rufisque, alors considérée comme une commune française, il avait exercé la profession de compositeur-typographe. Appelé sous les drapeaux en 1943 en tant que citoyen français, il avait participé en Italie à la bataille de Monte Cassino et à la libération de la France. Puis, comme de nombreux soldats coloniaux, il avait continué sa carrière militaire en Afrique du Nord puis en Indochine, où il avait « fait » Dien Bien Phu sous les ordres du lieutenant-colonel Bigeard. Ses médailles de sous-officier parachutiste étaient d’ailleurs exposées à Gorée.
Son personnage hors du commun a inspiré le cinéaste français Rachid Bouchareb pour son film Little Senegal (2001). Rebaptisé Alloune et incarné par l’acteur Sotigui Kouyaté, il partait aux Etats-Unis à la recherche de lointains cousins. A Harlem, il découvrait une réalité aux échos très actuels : l’incompréhension des Noirs américains à l’égard des Africains.
Philippe Bernard
Article paru dans l’édition du 11.02.09.

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Posté   le 11 Feb 2009   par   biko

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