Système de Tontine: Ingénieuses femmes d’Afrique

Google+ Pinterest LinkedIn Tumblr +

Les économies d’Afrique subsaharienne se caractérisent généralement par la présence d’un secteur formel autour duquel gravite une économie parallèle échappant aux règles financières officielles : le secteur informel. Face au peu d’efficacité du secteur formel et à la rigidité de ses règles, la majorité des femmes s’en trouvent de facto exclues. Confrontées à la quasi inexistence de systèmes officiels de sécurité sociale ou d’assurance incluant l’ensemble de la population, les femmes sont amenées à mettre en place des moyens originaux pour pallier à ces défaillances du pouvoir public.

La tontine africaine, un modèle de résolution des problèmes

Généralement instituée au sein d’une association ou regroupement de femmes, la tontine est un système dans lequel chaque femme cotise à une date régulière et où le capital (monétaire ou non monétaire) ainsi constitué est redistribué à tour de rôle aux membres de la tontine. Elle est généralement fondée sur une base fédératrice : origine tribale, secteur d’activité, catégorie socioprofessionnelle, origine géographique, lieu de résidence.

On verra par exemple les employées d’une grande entreprise privée se réunir en association, dix ou quinze petites commerçantes de tomates d’un marché de quartier « cotiser » 500 ou 1000 FCFA  par jour auprès d’une des leurs jouant le rôle de trésorière. A la fin de la semaine ou du mois, l’heureuse récipiendaire se verra en tête d’un pécule qui lui permettra soit d’agrandir son fonds de commerce, soit d’acquérir des biens de consommation. On verra des mères de famille se réunir en « tontines de biens ».

A tour de rôle, elles s’offrent des cartons de lessive, d’huile de cuisson, un robot de cuisine, une Cocotte-Minute ou tout autre article dont le prix ne favorise pas un achat individuel. Des étudiantes n’hésiteront pas à cotiser pendant une période donnée à une caisse provisoire pour s’offrir un voyage pédagogique et touristique. Dans le monde rural, pendant les grandes semences ou récoltes, des paysannes iront, selon un cycle préétabli, dans le champ de l’une ou l’autre pour y effectuer un travail collectif. Des citadines originaires du même village se réuniront pour créer des « associations de développement ». A travers ce circuit, elles introduiront l’eau potable au village en finançant un puits, mettront en place une « case de santé », sorte de dispensaire. Dans les villes, certaines tontines dont les membres disposent d’un pouvoir financier supérieur passeront des accords avec des spécialistes (médecins, cliniques) pour étoffer l’offre médicale apportée à leurs adhérentes.

Un exemple pour les Etats

Pour des populations qui manipulent quotidiennement des petites sommes et sont de ce fait peu courtisées par les banques, se tourner vers les tontines devient une nécessité. La masse monétaire qui y circule est telle aujourd’hui que de nombreuses études d’économistes, du continent et des pays industrialisés, suggèrent à ces Etats d’intégrer ce système dans leurs politiques économiques.

Tour à tour caisse d’épargne, caisse de solidarité et de prévoyance, vivier de main-d’œuvre, la tontine se caractérise par sa multifonctionnalité. De par son aspect informel, elle obéit à des règles plus souples que celles du système économique officiel, donnant ainsi la possibilité à de nombreuses femmes de trouver une source de financement pour leurs activités, ce qui fera dire à l’économiste Gérard TCHOUASSI  :

« Face aux divers problèmes économiques, familiaux et amicaux urgents qu’elles doivent résoudre promptement et relativement aux revenus faibles, modestes et précaires dont elles disposent , elles se rendent compte que la seule façon d’épargner, de se priver d’une partie régulière de leur revenu à titre temporaire, d’adopter une habitude d’épargne, c’est d’adhérer au moins à un système financier informel, lequel les soumettrait à une contrainte d’épargne »

Il continue en disant :

« Les femmes épargnantes adhèrent au système financier informel dans le but d’atteindre un objectif clair et bien déterminé. Elles voudraient réaliser un projet, financer une activité génératrice de revenus ou une activité d’utilité sociale à la fin du cycle de la tontine, par exemple, sans recourir à un crédit quelconque. » Ainsi, pour lui, la tontine, en favorisant l’épargne des femmes, permet de mettre en place les bases d’une économie solidaire.

Même si le principe de base est identique d’une tontine à une autre (échange circulaire et égalitaire d’un bien ou d’un service entre un regroupement de femmes), leurs modes de gestion ne sont pas uniformes. On peut distinguer la tontine « garde-monnaie ». Au lieu de thésauriser son argent chez elle ou chez un proche parent, la femme décide d’en remettre régulièrement une somme dans une « caisse épargne » auprès de la trésorière de la tontine, et de récupérer son bien en fin d’année ou au moment de son choix, si l’organisation de la tontine le lui permet. Avec la « caisse scolaire », les membres de la tontine peuvent, à l’approche des rentrées de classes, utiliser leur argent pour honorer les frais de scolarité ou acheter les fournitures indispensables à leurs enfants.

En Occident, pour financer un nouvel appareil ménager ou un voyage, certaines femmes auront recours aux « réserves d’argent » proposées par leur banquier. En Afrique, pour acquérir un bien ou financer une micro-activité, les femmes feront appel à la tontine. Avec « la caisse secours », la solidarité des membres de la tontine peut se manifester en cas de « coup dur » (décès, maladie, funérailles, obsèques…) ou d’événements joyeux (mariage, baptême…) Quand on sait les frais financiers que ces événements occasionnent, on comprend toute l’importance de ces caisses, et qui n’est pas uniquement monétaire. En effet, lors d’un décès par exemple, en plus de l’aide financière, la tontine apporte un secours moral et affectif certain. Ainsi, il est courant au Cameroun, lors d’une veillée mortuaire, de voir arriver ces groupes de femmes habillées d’une tenue identique, et qui se relayeront auprès de leur consoeur touchée par le drame pour lui apporter toute l’aide nécessaire.

La tontine joue donc un rôle de cohésion sociale non négligeable et inclut une grande part d’affectivité dans son fonctionnement. La convivialité, la confiance doivent régner entre les membres car après tout, les épargnantes n’ont de garantie que la parole donnée, la confiance entre elles. Au Cameroun toujours, presque chaque tontine a « sa tenue » (généralement une ample robe en tissu pagne), qui la différencie des autres. Certaines vont même jusqu’à imprimer des slogans sur lesdites tenues : « Tontine Espoir », « Femmes d’action »…les femmes affichent la couleur (ou plutôt les mots) de leur association. A Yaoundé, les réunions (hebdomadaires ou mensuelles) de la tontine sont l’occasion pour ces femmes de resserrer les liens sociaux. La tontine a un rôle économique certes, mais elle va bien au-delà. Derrière l’argent et la mobilisation de la main-d’œuvre, c’est tout un système de gestion sociale des conflits qui apparaît. Ce qui fait dire à Gérard TCHOUASSI  que la tontine « est aussi un instrument qui permet aux dépendants (les exclus, les pauvres et les minorités) d’espérer et de se projeter dans l’avenir. »

Vers un changement de la perception de la femme africaine par la société ?

Aujourd’hui, de nombreuses femmes, face à la difficulté d’accéder par héritage ou filiation à la terre, n’hésitent plus à acheter une parcelle en leur nom propre ou au bénéfice de leurs enfants. De nombreuses africaines, par leurs actions quotidiennes, contribuent insensiblement à changer le regard porté sur elles par la société. Alors qu’auparavant n’avoir que des filles relevait presque de l’insulte, de nos jours, il n’est plus rare de voir un père s’extasier ouvertement de la venue d’une énième fille dans la famille. « Les filles s’occupent mieux de leur famille », entend-on de plus en plus. Pour les défendeurs de cette thèse, contrairement à l’adulte homme, elles ont un plus grand sens des responsabilités familiales. Peut-être est-ce dû au fait que généralement, même s’il est sensé être officiellement aux manettes, l’homme délègue en vérité la gestion du foyer à la femme. Ainsi, il est sans doute plus facile pour celle-ci de mener des actions d’aide en direction de sa famille d’origine, ce que ne manquera évidemment pas de lui reprocher sa belle-famille qui s’estime lésée et ne se gênera pas pour dire : « Cette femme accapare l’argent de notre fils ». Ainsi, beaucoup de parents, à tort ou à raison, avouent ouvertement désirer une fille.

Même si on peut s’interroger sur la part d’intérêt financier dans cette préférence, reconnaissons qu’elle a contribué à changer dans une certaine mesure le regard porté sur la femme et son utilité. La petite fille n’est plus uniquement une future génitrice et une force de travail. Elle sera celle sur qui la famille pourra compter sans craindre de « trahison ». Et justement, cette famille ira jusqu’à consentir des sacrifices encore inimaginables il y a quelques décennies, afin de procurer à cette petite fille une éducation de taille, et par là un statut social subséquent.

Quid de ces africaines vivant en Occident ? Elles sont nombreuses à envoyer régulièrement de l’argent au pays pour aider la famille, un parent malade ou financer le micro-projet d’une cousine. Les transferts financiers de la diaspora africaine en direction du continent se chiffrent en millions d’euros et ce n’est sans doute pas la société de transfert d’argent Western Union qui le démentirait, elle dont le chiffre d’affaire en direction de l’Afrique subsaharienne ne cesse de croître. On le voit, une telle attitude n’est pas désintéressée, mais n’oublions pas qu’en Afrique noire, l’enfant est considéré comme « celui qui veillera sur les vieux jours de ses parents ». Pour l’Africain, il est normal qu’ayant travaillé toute sa vie pour élever ses enfants, ceux-ci fassent preuve de gratitude en s’occupant de leurs parents ou d’autres membres de la famille et apparemment, la femme semble emporter tous les suffrages sur ce terrain-là.

De Lomé à Paris, de Ouagadougou à Bruxelles, les femmes africaines se plaignent de manquer de visibilité, d’être exclues des instances de décision ou du circuit d’information ? Elles n’hésiteront pas à mener des actions concrètes pour y remédier. En France, depuis 5 ans environ, l’écrivaine d’origine camerounaise Calixte BEYALA est l’une des figures marquantes du Collectif Egalité, une association regroupant des africains, antillais et autres minorités. D’après ce collectif, les minorités, surtout afro-antillaises, sont sous-représentées dans les médias publics français, ce qui nuit à leur intégration au sein de la société. Il demande donc aux pouvoirs publics de mettre en place des politiques (de discrimination positive comme les quotas) permettant de tenir compte de toutes les composantes de la société française. Quoi qu’on pense de ce combat, il a le mérite d’avoir mis sur la place publique un fait qu’on ne saurait nier : la quasi absence de Français non Blancs du paysage médiatique. Est-ce suite à ces actions que des chaînes de télévision (essentiellement du câble pour l’instant), n’hésitent plus à mettre des journalistes noirs à l’antenne ?

De Yaoundé à Accra, des jeunes femmes investissent les cybercafés qui croissent comme des champignons pour communiquer avec le monde. Qu’importe le caractère aléatoire des connexions, leur lenteur et autres vicissitudes dont la moindre n’est pas financière ? Étudiantes, elles sont à la recherche de documentation. Actives commerçantes, elles veulent trouver des partenaires ou simplement étoffer leur réseau relationnel. Au fond, qu’importe leurs motivations. Par le biais d’Internet, elles découvrent d’autres réalités. Par l’explosion du câble et des paraboles satellites dans les villes africaines, elles ne sont plus uniquement tenues de regarder l’unique chaîne de télévision nationale. CNN, TV5, EURONEWS, le monde vient à elles, leur donnant la possibilité de confronter leurs expériences à d’autres

Posté   le 05 Sep 2007   par   biko

Share.

About Author

Comments are closed.