Souvenirs d’enfance d’un DEMBANCANINKE

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Entre les eaux abondantes du fleuve Sénégal et nos marigots nourriciers, des saisons rythmaient la vie des habitants de mon petit village, DEMBANCANE.

A cette époque, quand j’étais adolescent, les anciens nous apprenaient à distinguer les séquences saisonnières par l’observation de notre environnement et connaître approximativement l’heure selon notre silhouette vis-à-vis du soleil. Ainsi chaque saison était symbolisée par un ensemble d’activités champêtres et domestiques, préoccupant les hommes, les femmes et les jeunes.

La saison précédant les pluies, dite Kaoulé ou kandara, était le moment favorable au Sagandé. Il consiste à faire un état des lieux des champs fertiles en les débarrassant des mauvaises herbes et autres arbustes.

Ces champs, en grande majorité étaient situés sur la rive gauche du fleuve.

Encore je garde en mémoire quelques noms comme Ballé, Loxxé, Farey ,Joolanxolé, Sanbanparé, Maxanparé, Gasanbu, Thiefu, Turu-xoolé (lieu souvent fréquenté par les reptiles)

Les autres comme le Walèré, Séruka, xooli-jungo, le kolanga, Ali-ngoli, Boféli étaient sur l’autre rive.

Ces terres étaient très propices à la culture du féla, niogubu, niénèko, sammé, gajaba et maïs.
La culture de décrue, produisait aussi nos ustensiles de cuisine (calebasse, xaraxamé) et le duxumé, instrument de musique qui égayait les premiers jours de noces de la mariée

Beaucoup de jeunes comme moi, redoutaient cette saison chaude et torride et surtout la suivante le xaaxo parce que nous disions au revoir aux loisirs, à l’oisiveté et bonjour les rudes travaux champêtres

Malgré tout, collégiens et lycéens, nous nous démenions pour revenir dés la fin des cours, fouler le sol natal, retrouver l’ambiance familiale et amicale et plus encore pour certains, se ressourcer, comme Birama Niaamé, Thierno et semblables, mangeant à leur faim !

Néanmoins des moments de plaisir aussi, car cette période coïncide souvent avec la cueillette des jujubes que nous allions chercher sur l’autre rive à la nage ou en pirogue.

Ensuite, nous revenions jouer sur le brillant sable fin de la plage en plongeant et sautant dans l’eau fraîche du fleuve

Et quand l’occasion se présentait, nous ramenions en pirogue, les femmes peulh venues vendre le lait caillé ou les maures. En contrepartie, elles nous donnaient du lait ou des centimes

Nous croisions de temps en temps des chalands voiliers contenant du sel de la cola ou du beurre de karité (utilisé en cuisine en plus de ses vertus médicinales) qui se dirigeaient vers le village.
Perche à la main et aidés par le vent, des hommes (lapito) poussaient et guidaient infatigablement ces chalands

Je n’ose plus dire maintenant le mot moqueur que nous prononcions à leur encontre, bien sûr loin d’eux.

Et sous les miradors ombragés aux pieds du yéerè et du dibilinghé, les maures et fulbés, étalaient les fruits de pain de singe, du tamarin, les cordes, de la gomme arabique et des feuilles de taxayé qu’ils échangeaient contre du maïs ou du mil.

Et quand les clients ne venaient pas en grand nombre, ils allaient de maison en maison vendre leurs produits.
Aussi, profitaient-ils pour manger gratuitement.

J’appréciais bien le jus du pain de singe ou du tamarin mélangé avec du sucre que je buvais avec plaisir.

Quant à la gomme arabique, elle était utilisée surtout par les femmes comme l’amidon, la poudre bleue, pour défroisser les vêtements en leur donnant un certain éclat, après la minutieuse opération de trempage et séchage

Par un système de trempage, on confectionnait les pagnes et les boubous pour les ranger soigneusement dans les malles des futures mariées.
Mais en amont, toute une organisation du travail était établie en préparation des cadeaux par les mères (grandes et petites) aidées des pères et oncles.
On profitait très souvent des soirées dites sunka-yinbé, une autre école d’éducation et de formation, pour enfiler habilement le coton.
De ce travail quasi féminin, naîtront des bobines prêtes à être manufacturées par le tisserand.
Ce tisserand avec délicatesse, dans sa hutte de paille et d’herbe retirée de la cour centrale de la maison, avec ses instruments comme le….produisait le gueessé.

Ce produit sera teinté par un traditionnel procédé chimique (garandé) Par des mains expertes, la bobine était découpée et cousue par les femmes, façonnant ainsi de beaux dioros et autres belles compositions vestimentaires pour les hommes et les femmes.

Suivaient les séances du xungundé en fin d’après-midi consistant à aplanir les tissus.
Assises sous les vérandas, le xungaadé à la main, elles martelaient sur cette cotonnade pour la bien niveler
Que de belles causeries remplissaient ces moments avant de finir par un agréable sombi sucré et blanchi au lait caillé

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Je me souviens encore du champs de gara de ma mère, situé sur l’autre rive de Gaye Xoolé, l’accompagnant pour couper cette plante, en faire des fagots que nous portions sur nos têtes jusqu’à la maison.
Arrivés, nous étalions l’herbe verte avec ses petits fruits sur le sol pour le séchage.
Ensuite, ma mère, et les filles pilaient cette herbe aspergée d’eau dans de vieux mortiers.

Au fur et à mesure que retentissaient les coups de pilon, accompagnés de mélodies fredonnées par les filles, ma mère pétrissait les feuilles écrasées de cette herbe, en modélisant des tas en forme de losange.(gara-ngolé)

Ces tas séchés, seront utilisés intelligemment pour la teinture après avoir séjourné dans des canaris remplis d’eau, placés à côté des greniers dans les enclos pour casser l’odeur nauséabonde dégagée par l’acide caustique ajoutée avant la fermentation et dissolution.

Au paravent, une visite chez le forgeron était nécessaire pour commander ou aiguiser le matériel approprié à cette tâche rudimentaire.

Cette commande comprenait essentiellement une houe, le forunba, le yidé, le jaasi ou le kaafa, le jaaba, le xedo, le saouta.

Après, on parcourait le champ en détail en faisant des tas d’herbes et d’arbustes coupés et séchés pour les brûler en conservant sur les lieux les résidus qui serviront d’engrais naturel

A partir de là, tout le monde priait Allah, Le Généreux, de verser de l’eau sur les terres et nous aider à passer un bon hivernage.

La fermeture de l’école était imminente car des maîtres sont partis à Matam surveiller les examens du Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires et de l’Entrée en sixième (lycée et collège)

De très fortes chaleurs faisaient pressentir la venue de la saison des pluies

Et un jour, le ciel souriant, embellissait l’est d’un bel arc en ciel entouré progressivement de nuages.

Soudain des grondements et des éclairs par saccades. Les femmes se précipitaient en mettant à l’abri les petits enfants et déplaçant la nourriture et les ustensiles de cuisine du toit des vérandas dans les chambres.

Les oiseaux regagnaient leurs nids accrochés aux dattiers, palmiers et autres arbres.

Un vent frais soufflait d’est vers le nord ouest suivi de gouttes de pluies qui tombaient abondamment à la satisfaction des hommes et de la nature.
Quelle joie sous la pluie, de jouer à la glissade sur la terre lavée et purifiée.
La saison des pluies est venue.
Les semences prêtes parce que bénies sont déposées dans la calebasse (tipanxolé)

En fonction de la typologie de la terre, le bêchage (xuruntandé) de certains champs était nécessaire pour faciliter la semence et les premiers labourages

Très tôt le matin, aux premiers chants du coq, ces braves cultivateurs prenaient la route des champs pour aller semer la graine nourricière

Nombreux étaient ceux qui empruntaient nos fameuses et emblématiques pirogues pour rejoindre l’autre rive du fleuve.
Des noms comme ndakaru, thiguichor (parce que venant de Dakar et Ziguinchor) avaient longtemps servi comme moyens de traversée les villageois et leurs visiteurs

J’ai appris plu tard que l’achat de ces pirogues provenait des cotisations des premiers émigrés. L’argent était envoyé à nos parents installés à Dakar qui, à leur tour, faisaient acheminer les pirogues, difficilement jusqu’au village

Face à une telle organisation de nos anciens, je ne peux que leur rendre un vivant hommage par ces actes solidaires qui construisent encore notre cohésion, dans le respect et la modestie.

Des journées longues et très pénibles s’installaient avec le konkudugu et le labourage, source de douleurs au dos et aux bras.
On avait hâte d’en finir rapidement, mais il faut suivre toutes les étapes de la croissance (des semailles à la récolte)

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Cette saison était marquée aussi par le passage de la vedette phare de Manueli (Emmanuel) chaque jeudi après –midi de Bakel à Matam et en sens inverse le dimanche.

Cette fameuse vedette très attendue, était presque le seul moyen de transport fluvial en période de pluies.
Il assurait le courrier souvent très volumineux au départ comme à l’arrivée de notre village et des environs.
Avec les autres élèves nous faisions très souvent le tri à la criée devant la petite mosquée avant de procéder à la traduction de ses correspondances venues de France.

C’était le principal moyen de communication entre ceux qui étaient partis et leurs familles restées au village, d’où toute cette ferveur autour de la vedette de Manuel

Tout le monde attendait impatiemment Manuel, surtout les jeunes filles et femmes qui s’étaient discrètement préparées au retour du fiancé ou mari.

Vers la fin de l’après midi, on entendait le bruit du moteur de loin
Et mon oncle Samba Boubou dit Délégué dans la survivance de gestes d’ancien marin français, faisait avec joie et nostalgie la montée du drapeau.

Dés que la vedette accostait, avec son odeur de gasoil, les regards s’éparpillaient pour tenter de reconnaître le frère , l’oncle, le père, le mari ou le fiancé, partit il y’a belle lurette en France.

Je vois encore la silhouette de quelques uns de ces francicos aux cheveux longs comme mon kalingora dans son pantalon patte d’éléphant et une chemise manches courtes à grands cols, à l’époque du yéyé, de James Brown, OTIS, WILSON,ARHETA……

A l’approche de l’inévitable ouverture des classes, nous empruntions la voie fluviale avec comme Commandant de bord et propriétaire de la vedette, Mamadou Sembé, pour regagner les collèges et les lycées situés à plus de huit cents kilomètres de notre cher petit village.

Profitant un jour, du lien historique entre le Haïré et le Gadiaga, du Daaxa des Sembé et de cette publicité faite autour de l’arrivée de Manuel par notre oncle Délégué, élèves que nous étions, comptant bien nos sous, nous avions pris la ferme décision de marchander le billet avec Mamadou Sembé pour économiser un peu de l’argent que nos braves parents nous donnaient.

La négociation était longue et notre tactique était de ne pas lâcher car le Somono aussi comptait plus que nous ses sous.

Il fût même question de nous faire débarquer de force, si nous ne réglions pas totalement le billet.

Il avait dit qu’il n’embarquerait plus les élèves de Dembancané

Ces braves femmes et filles
Après qu’elles aient assuré le petit déjeuner, les femmes allaient à pieds en groupe le matin à Bokiladji, Appé ou Babangol pour cultiver les champs d’arachide, pour ne revenir que le soir.
Une bonne partie de la récolte était consommée par tous.

Des jours de pluie suivaient, en verdissant les étendues de champs de mil, fèla, maïs et d’arachide jusqu’à la phase finale

Entre la deuxième et troisième phase de labourage, je ne me souviens plus exactement, on faisait le repiquage des plants (lorindé) sur les endroits secs des champs, coïncidant avec la venue de fines petites et intermittentes pluies de Sitanbré juxa.

Le ciel était très souvent couvert ce qui rendait supportable la chaleur

Quelques temps après, les miradors dressés, les veilleurs de jour (xataano) garçons et filles prendront le relais pour garder les champs prometteurs de bonnes récoltes
Tôt le matin, ils emportaient le juste nécessaire pour leur repas.

Les courageux gourmands comme mon ami Dalla Samba DIARRA, allaient se confondre avec les eaux boueuses des petits ruisseaux en pêchant des poissons pour assaisonner les gamelles.

Ils étaient les premiers, souvent avec leurs copains à déguster les fruits de la nouvelle récolte.
On voyait cela quand les filles offraient à leurs copains, en exclusivité le gâteau de grains du nouveau mil mélangé de sucre appelé « sanpa » En général, ce fameux gâteau des filles ainsi que les tiges de canne à sucre amenés par les garçons étaient dégustés, ensemble dans les maxanban-konpo éparpillés dans le village.

Ce sont des lieux de vie d’une semi liberté pour les jeunes filles et les garçons qui se confiaient et s’amusaient sans exagérer.

Ces chambres symbolisaient la deuxième coupure du cordon ombilical car on ne dormait plus chez ses parents. On rejoignait un groupe de la même classe d’âge dans une autre maison choisie où on se sentait à l’aise ou selon des affinités historiques entretenues par les familles.

J’ai vu une personne revenue de France, allait passer la nuit dans la même maison d’avant, en attendant la date de son mariage. Tout cela explique la vision solidaire, amicale et familiale de la société que les anciens voulaient nous laisser pour vivre en toute harmonie.

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Et entre temps s’ouvrait officiellement la saison de la pêche qui débute par le fleuve avec les boosso et les somonos, suivie de celle des marigots qu’organisait le village à laquelle étaient conviés nos parents et amis du Haîré et du Gadiaga ety du Guidimaxa.
Et le jour venu l’on s’assurait vraiment de leur présence avant que la maison Sow-kunda qui apprivoise les crocodiles ou les caïmans ne donne le coup d’envoi
Quant à la battue des eaux du fleuve, elle se caractérisait essentiellement par la pêche du Wandoné, mais on capturait aussi de gros capitaines, la dorade, le anjobé, du fonto, atiaaré alaxunné, xooxa, bakatta, fétta, andana, guitié, saara, talaxé (très bon, séché) que sais-je encore.

Cette période me marque encore avec l’installation chaque année sur les berges du fleuve, face au village, du Daaxa de feu oncle Buubu Senbé, le généreux somono qui a marqué ce fameux campement saisonnier de pêcheurs.

Je n’oublierai jamais leur participation aux belles régates colorées organisées lors des fêtes de fin du Suumé et du Baano
Ainsi sur les eaux du fleuve, les piroguiers faisaient la course en surfant avec les petites vagues.

Le combat de lutte amicale du féddé servait de prélude à cette manifestation.
On scindait le féddé en deux groupes selon les quartiers (Surankaani qui allait du mirador de Yélimankaania en passant par Bantinkaani à la Grande Mosquée) et de là débutait Komokaani jusquà la dernière maison à la sortie, sur la route de Yéruma )

Le début de la chanson guerrière et provocatrice surgit encore dans mes oreilles ( oro débé-nkaania, ori wandé débé gni !)
Ce qui voulait dire à peu près, « invaincus chez nous, nous triompherons chez vous »
Ce refrain était répété plusieurs fois avant d’aller nous jeter dans l’eau et contempler les régates et en finale les danses de l’après midi des filles autour du Dindé de grand-père Tièkoro Laaji

Buubu SEMBE ou le mythe de Simbéla

Il venait de Bakel passer des mois sur les rives avec sa famille, ses hommes de main et d’autre personnes du village et d’ailleurs qui se joignaient à eux pour gagner de l’argent et du poisson pour nourrir leurs familles.

Avec son esprit superviseur et sa connaissance secrète des niches poissonneuses, il guidait son équipe à l’étalage du grand filet dans la profondeur des eaux après avoir procédé à la cérémonie rituelle de neutralisation et d’apaisement des eaux et de ses dangereuses créatures.
Eux seuls détenaient ce secret ancestral mythique

Des minutes passées, ce grand Somono donnait le signal de retirer avec délicatesse le filet.
C’était toute une gestuelle sportive cadencée par le frottement des bras des pousseurs et les coquilles de signalement du filet.

Je me souviens des pirogues remplies de Wandoné qu’il offrait, pour marquer son amitié et sa reconnaissance au village entier. Quelle personnalité pleine de bonté et d’humilité.

Ah ! ce Wandoné petit poisson que nos mamans faisaient frire ou cuire, se mangeait facilement en entier.
Un couscous réchauffé, recouvert de la délicieuse sauce de ce petit poisson naturellement cuite à l’eau avec un zeste de sel, poivre et piment apaisait nos ventres.
Et c’était la fête du Wandoné même si le xooxa nxulé était là !

C’était l’époque aussi où les valeurs humaines avaient plus d’importance que celles marchandes, car les échanges étaient plus portés sur les produits de la terre que sur la monnaie.

Ainsi, on pouvait échanger le poisson contre du mil, du maïs, de la patate et autres vivres (faraxundé).

Il était facile à cette époque de choisir le poisson qu’on désirait, car avant de regagner son lit, le fleuve nous gâtait, en regorgeant ses eaux poissonneuses sur nos multiples marigots par la percée de Samba gaye nxoolé, Bofel, njorool…pour atteindre Keïdaajo, Taniaf xooré, Taniaf tuguné , Muusa nxaaré, à la rencontre des torrents d’eau de nos petites montagnes.

Et en même temps, dans cet élan de générosité sans égal, ALLAH, Le Tout Puissant, déversait ces mêmes eaux dans la profondeur de nos terres du Waléré, du Kolanga, du Falo pour les cultures de décrue

Avant cette phase de régression des eaux du fleuve, le Galé de njorool était installé sous la supervision de feu oncle Doro Sérukanké.

C’était un simple barrage fait de bois, de lattes et de pailles entrelacés de cordes, pour attraper les gros poissons, tandis que des espaces entre les pieds de bois plantés au fond permettaient aux petits d’aller grandir et féconder dans le fleuve en attendant la prochaine saison.

Quelle judicieuse gestion écologique du cadeau divin que respectaient nos chers anciens
Ainsi, suis-je en parfaite harmonie avec Feu AMADOU HAMPATE BA, écrivain et philosophe quand il écrit « je suis pour le progrès qui fait vivre et contre le progrès qui tue. »

La saison de décrue était ma meilleure pour des raisons de jeunesse simplement.
En effet les travaux n’étaient pas aussi pénibles que ceux fournis en période d’hivernage

Elle se distinguait par sa fraîcheur dite Mulédu .
Les nuits devenaient humides et on se couvrait

Cette période, apportait par la culture des folos, du Walérè et du Kolanga, beaucoup de légumes.
Les amateurs patients de la pêche à la ligne attrapaient sans beaucoup de peine du poisson.

Nos mamans nous préparaient des gâteaux.
J’aimais bien les patates douces cuites à l’eau ou sous les cendres chauds d’un petit feu de bois, ou encore en friture.
On dégustait aussi le fruit du jéyé, coupé en petits morceaux avant d’être cuites à la vapeur dans la grande marmite de la maison.
O u encore la délicieuse purée du Mulunxu mélangée avec du sucre et de la dakatine.
Bien cuite, on l’étalait sur un fin couscous un peu doré pour le manger.

Le couscous aux feuilles de haricots ou de sunamé avec comme principaux ingrédients, une bonne pincée de dakatine, poisson sec découpé, de préférence le talaxé, de viande plus une dose de sel et d’oignon pilé, constituait principalement le repas du soir.

Cette composition bien macérée, bouillait longtemps dans la marmite et suffisait à nos gentilles mamans, cousines et nièces de combler nos ventres vides
On savourait ce plat après la prière du Saxufo, en gardant une certaine quantité pour le lendemain matin.
Nous aimions ce moment du jour quand, écoliers, nous revenions vers dix heures goûter à la maison
Ce plat, par ses éléments nutritifs contribuait à supporter la faim lors des travaux champêtres.

Un jour, revenant d’exécuter une commission de ma grand-mère à Bantikaani, ma grand-mère Soukho, m’offrit un gâteau appelé Kunkutu que je découvrais pour la première fois de ma vie.

En forme de boule, comme le Molé-Singuété ou le Buudu, il était conçu à partir de la farine de mil, ou de maïs, pétrie dans l’eau mélangée de sucre et de poudre de cacahuète préalablement chauffée à la poêle.

Ces boules déposées dans le binghé sur la marmite, sous lequel un feu ardent pour assurer la cuisson à la vapeur

Selon les connaisseurs, le Kunkutu à base de suuma , était encore plus délicieux.

Une fois cuites, les boules étaient recueillies dans les grandes calebasses pour être ensuite dégustées par toutes les personnes de la maison et des chanceux visiteurs.

Depuis, je n’ai pas eu la chance d’apercevoir même, une forme de ce délicieux gâteau.

Quand je survole encore, sommairement mes souvenirs de ce modeste art culinaire sain et nutritif de nos anciens, je ne peux que leur manifester toute ma reconnaissance

Cette saison marquait aussi les activités domestiques collectives relatives à la réparation ou confection des bâtis, des clôtures, des greniers, auxquelles s’attelaient les hommes.
Pendant ce temps, les femmes, calebasse sur la tête, allaient chercher la précieuse argile colorée de Bokiladji.
Ainsi, de leurs mains agiles, elles trempaient et pétrissaient cette argile jusqu’à sa dissolution complète, avant de peindre les intérieurs et extérieurs des demeures.

De l’inspiration de chacune, sortaient en relief de jolis motifs décoratifs.

Cet art décoratif presque anodin, a disparu de notre environnement architectural
L’atout majeur de cette conception du bâti en banco, bois et paille, résidait dans sa capacité à réduire sensiblement les effets de la chaleur.

Ces moments étaient entrecoupés par les sorties de pêche dans nos marigots. ?

Autour d’un feu de bois, heureux étaient ceux qui avaient l’occasion de rencontrer des anciens qui animaient les soirées en narrant des contes d’amour, de jalousie, bravoure, dignité, de solidarité …

Personnellement, j’éprouvais, avec beaucoup de compassion, les contes ayant trait aux orphelins ou à la stérilité de la femme, qui entrecoupés de chansons langoureuses et pleurantes, dégageaient une émotion intense

Je me souviens des contes avec le personnage de Kaw turghé
l’irréflèchi, prêt à vendre sa mère pour une poignée de morceaux de viande et Kwa Kandiané, le clairvoyant et malin parieur sortant toujours gagnant.

Je souris encore en pensant au soudain plongeon de Kaw Turghé à l’évocation d’une chèvre comme récompense, à la première personne qui aura fini ses ablutions.
Il sauta dans l’eau pour ressortir aussitôt en disant, j’ai fait plus : voici mon corps tout entier trempé !
Qui dit mieux !

Le narrateur ou la narratrice commençait toujours par demander à l’assistance :
Dites-moi xayi? Et l’assistance de répondre : xayi
« offrez-moi un village », on t’offre tel village ! répondait l’assistance et le narrateur de répliquer « je le prends avec toutes ses qualités »

Et une phrase « saani kara wuna xasse ntoxo jenjenghé !!! » clôturait la fin de chaque conte.
J‘ai toujours voulu savoir le sens de cette métaphore qui m’a intrigué depuis mon enfance

D’un style, aux contours lyriques et la profondeur de la métaphore qui caractérise la langue , à mon sens, on posait candidement des questions pour mieux comprendre le sens de la morale que les contes enveloppaient, avant de s’en approprier à vie.

L’interprétation des sujets existentialistes qu’abordaient ces contes requiert une connaissance que souvent les Fasiwulu-saani, nos causants philosophes, tel le mythique MADI KAAMA se sentaient à l’aise par l’expression du sens, parce que relatifs à l’homme dans sa vie éphémère et éternelle.

Comme le dit si bien un fasiwulu-saana africain AMADOU HAMPATE BA « un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image.
Un conte (ou un proverbe), c’est le message d’hier transmis à demain à travers aujourd’hui »

Encore, m’arrive t-il de me surprendre, plongé dans ces mémorables épisodes de l’adolescence avec le regret de n’avoir pu les mettre en image et son et les faire voir et transmettre.
Ah !si ces techniques d’information et de communication (internet, portable) existaient !

Abdoul SALAM SOUMARE

http://thiernobil.seneweb.com/souvenirs-d-enfance_b_2.html

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