Souvenirs : Quand la symbiose entre l’enfant africain et son grand-père procure des plaisirs inédits

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Ce matin, je pense à tous ces quolibets qui s’agrippent au cou de l’. On m’a dit que mon Afrique rime avec maladie, famine, souffrance et guerre. On m’a dit que mon Afrique excelle dans l’art de voler les rêves. Je me souvins des mots de la récitation  » Afrique mon Afrique «  de David Diop. Une belle réponse à toutes ces balivernes. Mieux, je vous mets dans la confidence pour montrer que mon Afrique rime avec joie.

Ce matin, je veux crier sur tous les toits que ma terre natale fut un havre de paix. Cette même terre qui vomit ses fils aux portes de l’Atlantique n’est pas que famine et malheur.  Mon Sénégal plus précisément sa partie orientale fût également un nid de plaisir et de bonheur. En cette douce matinée glaciale, assis dans le Tram parisien roulant sur les rails qui exploitèrent mes aïeux, mon esprit emprunta la bretelle des souvenirs. Il fit une brève rétrospective. Il s’en alla revisiter les délices de mon enfance.  Rien à voir avec celle de tous ces visages pâles et fermés que je croisais tous les matins.

Dans le terroir ou je suis né, je gouttai aux plaisirs intenses que je ne vivrais nulle part ailleurs. Même un pont d’or ne peut me faire revivre ces moments agréables. Seul mon esprit peut s’engouffrer dans ce royaume enfoui à jamais dans ma mémoire.

Je me souviens comme si c’était hier de mon  » Piti Kolongo «  ( Instrument musical local ) qui me servait de guitare. Le « Piti Kolongo » est cousin de la Kora, fait à base d’un grand pot de tomate, de bâton et de fil de fer. Il distillait une belle mélodie que seuls les cœurs purs pouvaient admirer. Je me rappelle de ces matinées d’errance où je ne faisais rien parce qu’ inapte aux travaux champêtres. Je me posais à côté de mon grand père et je jouais à la guitare locale. La symphonie égayait le cœur du vieil homme. Il se laissait aller dans les confidences. Il me racontait ses nombreuses pérégrinations, ses succès et ses souffrances. Il usait beaucoup de métaphores pour me parler de l’homme, du monde et de la religion. Tel un grand griot devant son maître, je continuais le son grinçant de mon semblant d’instrument musical. C’est au pied du dépliant du vieux sage que j’appris l’histoire de l’Afrique, de grands guerriers et de plusieurs érudits de mon terroir. A ses cotés, j’ai connu l’histoire de Sékou TOURE qui fut son voisin à Conakry. Il était voisin du grand panafricaniste. Ses récits montraient la grandeur de l’homme. Malgré son fort caractère, Sékou avait un grand cœur et n’aimait pas l’oisiveté. D’ailleurs, son mal se situait là. Il se comportait en tyran avec les fainéants. Par ailleurs, il admirait les travailleurs surtout ceux venus de l’intérieur du Sénégal et du Mali. Sékou, d’après le récit, fût un grand homme malgré ses frasques et ses forfaits. Polyglotte ( , Peul, , Sousou, Dioula ), mon grand père plaçait de temps à autre quelques mots  » Sousou » pour n’initier à cette langue qu’il aimait parler. Souvent, pour se moquer des mômes en compagnie de ses femmes, il utilisait cette langue. Il aimait raconter ces expéditions qui l’amenèrent en Sierra Leone, Libéria, Côte d’ivoire, Guinée Bissau et son fief d’autrefois Guinée Conakry. Il me racontait également la jalousie de l’homme, une tare universelle dont il fut lui-même victime. Homme adulé, il prit 7 coups de couteaux d’un frère malien jaloux de son succès. Il fut interné plusieurs mois à l’hopital de Conakry. Tout le voisinsage était en émoi. Grace à Dieu, il s’en remit. «  Kissiméré ( Petit fils), j’ai tout pardonné à ce Monsieur. A quoi me servirais de le voir croupir en prison. Il est Soninké comme moi et vient d’un lointain pays pour venir en aide à sa famille. Il a lui même regretté son acte gratuit puis il fût renié par toute sa famille. Que veux tu que j’ajoutes à ce supplice. Il faut savoir pardonner. » dit-il. Il continua :  » Des jaloux, tu en trouveras tant que tu seras en vie et  homme adulé « .

C’est aussi à travers ses récits que j’ai appris à valoriser l’étranger. Grand-père accueillait toute sorte d’étrangers : Handicapés, Pauvres, Voyageurs égarés… Sa position d’Imam de la Grande Mosquée de sa ville lui conférait cette prérogative. Quelle que soit l’heure, l’étranger était le bienvenu dans sa maison. Grand père continuait son récit au son de ma kora de fortune.

Soudain, il se tut et me demanda :   » Tu as rien d’autre a faire que de venir me raviver mes souvenirs.  » .  » Allez ! Viens !  je vais t’initier à la chasse aux oiseaux. » dit-il. D’un pas chancelant rappelant le poids de la vieillesse, sourires aux lèvres, il me prit par la main. Nous nous dirigeâmes vers son beau cheval. Il arracha quelques fils de la longue queue de son jument puis me demanda d’aller chercher de petits cailloux.

J’exécutai illico presto. Il prit son temps pour m’expliquer toutes les étapes de la fabrication d’un  » Sissigne » ( attrape oiseaux ) … Il pétrifiait l’argile puis le posait sur un plateau. Il commençait à nouer les fils cueillis de la queue de l’animal. Il les nouait savamment en laissant entrevoir un petit cercle. Puis, il mettait un à un les fils en les fixant avec les petits cailloux. On mît le chef d’œuvre sous le soleil pendant plusieurs heures.

Dans l’attente, il me demandait d’aller lui chercher la bassine de ma grand mère, un long fil et un bâton de la longueur d’une coudée. On mettait la bassine dans un endroit calme de la maison et on versait autour du riz ou du mil. En effet, on mettait le bâton sur un des des contours de la bassine… Le bâton était attaché à un long fil. On tenait aux abords du dépliant de grand père. Les oiseaux descendaient par dizaine. Ils étaient de différentes races avec des noms insolites : « demba pire », « demba koutel », » bokhonane », « garanke », « marou yeligne ». Ils gazouillaient et picoraient les grains qu’on avait versé sous la bassine.  Des qu’ils devenaient nombreux sous la bassine, on tirait sur le fil et le bâton tombait. La bassine se refermait sur les oiseaux. Ah ! Tel est prit qui croyait picorer ! Grand père et moi mettions autour de la bassine un drap. On ouvrait un côté de la bassine et capturait un à un les oiseaux. Mes premières prises et mon premier contact avec le monde des oiseaux. Je partageais les oiseaux capturés avec mes cousins. On attachait un fil à une patte puis on les faisait voler.

Quelques heures plus tard, quand le plateau d’argile devenait sec, grand père m’expliquait le mode opératoire. Je devais verser quelques graines de mil ou de riz sur le piège et le mettais dans un endroit calme et touffu des abords du fleuve Sénégal. La première fois, nous étions allés ensemble. Il choisit un endroit. Sur deux branches parallèles, on posa le  » Sissigne  » puis rentra à la maison. Quelques heures, je me fis accompagner par mon grand cousin pour s’enquérir du devenir de « l’attrape oiseaux ». Nous nous approchâmes puis trouvâmes des oiseaux combattant avec les fils. Ils étaient pris. Ils tentaient vainement de s’échapper. Hélas, la messe était dite. Nous les prenions un à un et les mettions dans la petite case. Nous arrangeâmes le  » Sissigne  » en versant quelques autres graines de mil puis nous rentrâmes à la maison.

Un festival d’oiseaux s’improvisait. Chaque môme choisissait un oiseau puis l’attachait à un long fil… Il courrait derrière les vols ratés de l’oiseau pendant des heures. Il se glorifiait de temps à autre de la beauté de son oiseau.

Las de jouer avec les oiseaux, nous les égorgions puis les déplumions. Nous les vidions les gésiers puis nous les mettions au feu à l’aide de fil de fer. Nous nous régalions du barbecue improvisé. Néanmoins, grand père nous contrôlait. Certains oiseaux ne devaient en aucun cas être sacrifiés sous l’autel de notre gourmandise. Il était content de nous avoir montré une facette de notre culture. D’un air moqueur, il nous regardait nous chamailler pour les bonnes parties des oiseaux. Il nous traitait souvent de  » sorciers « . Dès que le muezzin appelait à la prière de Dohr, nous abandonnions nos fourneaux pour aller réciter nos sourates de la vieille. Grand père devenait méconnaissable. Il ne faisait point de cadeau. Qui ne savait réciter ses sourates passait un sale quart d’heure au point de vomir ses tripes. Une façon de nous montrer que chaque chose à son temps. Il y a un temps pour le jeu et un autre pour le travail.

Nous restions à ses cotés jusqu’à nos huit ans. A cet âge, il commençait à nous envoyer en brousse pour découvrir les travaux champêtres. Souvent, nous allions faire paître les moutons à quelques encablures de la maison. Quelques années plus tard, nous quittions notre royaume succulent royaume enfantin pour entre dans la cour des jeunes adolescents. La vie prenait une autre tournure moins marrante mais plus formatrice. Nous regrettions nos anciennes vies. Hélas, on nait, on grandit puis on meurt. C’est la loi du cosmos. Grand père s’en est allé un jour du mois de Mars pendant que nous faisons une autre humanité avec l’Université. Alaadji Mabo Fanta avait rempli sa mission. Maître dans l’art de former de futurs hommes responsables et utiles à la société. Alors, je fis que mon Afrique n’a rien à envier à tous ses continents dont l’enfance a des goûts très amers. Dans mon Afrique hier, il y avait ni pédophilie ni viol. C’était un havre de paix. Hélàs, l’Afrique se perd dans cette mondialisation frénétique.  

Samba Fodé KOITA, www.bakelinfo.com

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