Sur les traces de l’Empire du Mali

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L’identité de chacun et nous, hommes et femmes noirs de l’Afrique de l’Ouest, formés à l’école moderne de l’Occident européen est d’une nature telle que selon moi, elle suscite et continue de nourrir des interrogations vitales telles qu’elles ne prendront fin que pour autant que nous leur apportons des réponses plus satisfaisantes que présentement. La nature profonde et problématique de cette identité est, d’une part, que nous sommes peul, malinké.

Ouolof, sérère, soussou, , etc., participant d’une culture orale et, d’autre part, que chacun de nous a passé la partie la plus longue de sa vie d’homme ou de femme à apprendre et assimiler des cultures de l’écrit, arabe ou européennes. Etant données les différences existant entre les processus initiatiques, cognitifs, pédagogiques, médiatiques mis en œuvre par ces deux modes, oral et écrit, d’accès au savoir, souvent tout se passe comme si l’acquisition du mode écrit ne peut se faire qu’au prix de l’oubli, de la perte ou de la disparition du mode oral. Delà, résulte une double problématique, individuelle et sociétale. Chaque individu passé par de double processus fonctionne selon un cycle alternatif dont chaque phase est souvent négative, exclusive de l’autre. Le moment où je suis toubab, je ne suis plus peul.
Au plan sociétal, étant donné que le niveau de scolarisation dans l’école occidentale de l’écrit, en Afrique au sud du Sahara, ne touche pas plus de 40% de la population totale, nous nous trouvons en présence d’une population duelle. La majorité de cette population continue de vivre selon le mode oral, avec les valeurs, les processus initiatiques, les traditions éthiques qui caractérisent et accompagnent ce mode. Mais, en premier lieu, du fait de leur oralité, la prégnance, la résistance mêmes de ces valeurs de civilisation demeurent faibles, aléatoires et continuellement menacés de perdition.

En deuxième lieu, la part majoritaire de la population africaine se trouve, aujourd’hui et pour sa conquête du futur, sous la domination et la direction politique et intellectuelle de la partie minoritaire formée à l’école européenne. En sorte que, par conséquent, ce sont ceux qui ont le plus oublié ou méconnu les voies de notre identité et de notre être les plus authentiques qui ont la charge, aujourd’hui, de conduire les peuples de l’Afrique au sud du Sahara au rendez-vous de notre continent avec un monde qui désormais, réunit tous les continents, tous les peuples, toutes les cultures, toutes les identités d’une planète devenue une, pour la première fois de son histoire. De la sorte, nous allons à ce « rendez-vous de l’universel », à ce « rendez-vous du donner et du recevoir » pour parler comme Senghor, à demi-nus, et handicapés. L’histoire atteste que nous avons, de tous temps, payé cher et de façon non équitable nos échanges de biens matériels avec les peuples de cultures écrite, européens ou arabes : les hommes et les femmes noirs, des êtres humains, des pétoires, de l’alcool frelaté, etc. Mais, nous n’avons jusqu’ici pas pris un compte suffisant d’une disproportion encore plus périlleuse et mortelle pour notre culture orale.

Il s’agit du déséquilibre, de l’absence de toute commune mesure et d’équité qui président aux échanges de biens immatériels avec nos protagonistes des civilisations de culture écrite. Ils tiennent pour acquis que nous n’avons rien à leur proposer, s’il faut en croire Hegel, Montesquieu, etc. Or, « nous savons maintenant que les civilisations sont mortelles » ainsi que l’a dit Paul Valéry.

Dans cette conjoncture, la mort des civilisations orales est encore plus imminente, et ses conséquences plus désastreuses pour l’humanité, à moins que nous, les enfants putatifs de cette culture orale, nous la minorité qui nous sommes érigés en guides, ne nous reprenions en mains et réussissons l’œuvre historique de salvation.

Cette tâche est, pour l’Afrique noire, plus urgente, plus prioritaire, plus nécessaire que toutes les autres, car, elle est un préalable à toutes les autres, elle est la fondation, la condition sine qua non de l’édification politique, de la modernisation économique.

Il n’est pas d’Etats-Unis d’Afrique, pas d’Afrique confédérale, pas d’Union Africaine possibles si ne sont pas retrouvées, expliquées, modernisées les fondations mêmes que notre culture traditionnelle avait conçues et inventées pour servir de lois et de règles à la coexistence, à l’Union, à l’association entre les clans, les ethnies, les provinces, les royaumes.

Il n’est pas de règles modernes possibles pour organiser la libre circulation des biens et des personnes si ne sont pas retrouvées, explicitées, mises à jour les règles régissant la parenté plaisante, les équivalences patronymiques, les correspondances ethno patronymiques que notre espace ouest-africain avait élaborées depuis des siècles, et que l’Empire du Mali à certifiées au début du 13ème siècle.
Il n’est pas de droit foncier moderne possible, pas de réglementation des conditions d’exploitation de l’eau, des forêts, des biens matériels, s’il n’est pas tenu compte des règles anciennes sur lesquelles, pendant un millénaire au moins, a reposée l’organisation des sociétés ouest-africaines de tradition orale.
Mesdames, Messieurs, c’est ce travail de refondation que des cadre africains modernes, en étroite collaboration avec des traditionnistes, maîtres de la parole, ont entrepris depuis quelques années et dont le CELHTO (Centre d’Etudes Linguistiques…), nous a rendu compte à Bamako, en 2004. Je ne connais, dans tout l’agenda de l’Union Africaine, de tâche plus indispensable, plus urgente que celle-là. Les projets ainsi initiés doivent être poursuivis. Le projet d’appui à l’instruction civique devrait nourrir les programmes scolaires des écoles de la région. La présentation des thèmes devrait aussi user de la B. D., de dessins, d’images, de films d’animation. L’archivage de la tradition orale sous les diverses formes identifiées doit se poursuivre en dehors des univers culturels mandingue et peulh. Une liaison plus étroite doit être opérée avec la recherche, les universités, etc.

C’est toujours dans la même volonté de réappropriation de ce patrimoine de notre tradition orale que, il y a quelques années, une idée m’est venue que j’ai partagée avec quelques amis, dont Djibril Tamsir NIANE, Ousmane SOW Huchard, Hamidou DIA, Amadou LY ; j’ai fait un courrier à Cheikh Oumar CISSOKHO, Ministre de la Culture du Mali, pour l’en informer, j’en ai parlé avec Seydou Badian KOUYATE.

Il s’agit de choisir une séquence importante de l’histoire du continent, en l’occurrence, la Fondation au XIIIème siècle, de l’Empire du Mali, et, en alliant divers modes contemporains de création artistique, de « théâtraliser » cette séquence, pour parler comme Mamoussé DIAGNE et, par ce moyen, de monter un

spectacle multimédia de qualité à dédier au continent, à présenter à l’occasion d’un évènement approprié. Ousmane SOW, Huchard a suggéré que ce soit lors de la prochaine édition du Festival Mondial des Arts Nègres.

Nous pensons que Wa KAMISSOKO et tous les grands maîtres traditionnistes du temps passé comme Banzoumana, comme Balla Fassaké KOUYATE, dont les récits nous fascinent même lorsque, comme moi, on ne parle pas le et le malinké, devraient être propulsés à la compréhension, à l’admiration et à l’édification de tous les peuples d’Afrique, de tous leurs dirigeants contemporains, et du reste du monde. Des historiens, des écrivains, des poètes nègres, comme Djibril Tamsir NIANE, Youssouf Tata CISSE, Mody Sékine CISSOKO, Massan Makan DIABATE, pour n’en citer que quelques uns, usant du médium de l’écriture en langue française ont donné, à tous ceux qui maîtrisent cette langue, un accès ébloui à cette épopée qui est la nôtre à nous tous ouest-africains. Mais, combien d’africains sommes-nous qui savons lire le français et trouver notre bonheur dans les œuvres de ces créateurs.

Dans l’idée de concevoir un spectacle qui pourrait, comme l’opéra Yorouba, ou l’opéra en occident européen, allier le livret, le théâtre, le chant, le ballet, la déclamation. On pourrait y ajouter le rap, le spectacle son et lumière, les marionnettes, … Il ne faudrait pas moins que tous ces médias pour essayer d’approcher la plénitude de l’épopée mandingue. Il se trouve que le monde des arts de l’Afrique a, dans toutes ces disciplines, la possibilité de mobiliser des talents. On mettrait à l’œuvre des costumiers africains, des stylistes, des dessinateurs, des « designers » pour reconstituer de façon rigoureuse scientifiquement, les costumes d’époque, les armes d’époque, les masques d’époque, les champs de bataille d’époque ; des griots traditionnistes collaboreraient avec nos musicologues, nos vedettes de la chanson comme les Salif KEITA, Oumou SANGARE, Baaba MAAL, Youssou NDOUR, pou assurer au spectacle une partition musicale qui soit à la hauteur de la tradition musicale mandingue, tout en utilisant les outils de la sensibilité musicale moderne comme ont su le faire Fodéba KEITA, KOUYATE Sory Kandia.

Voilà, pour ce qui est de la nature du spectacle. Venons-en maintenant à ce que devrait être son contenu.

Ce contenu devra rappeler aux cinquante quatre Etats africains contemporains, les grandes leçons données, il y a huit siècles par douze petits royaumes d’Afrique occidentale sur les vertus et les avantages de l’unité au regard des vices, des misères et de la faiblesse qui accompagnent la division. L’unité, c’est la force. L’unité, c’est la paix. L’unité, c’est le respect de l’autre.

Face à la violence obscène, insensée, absurde, aveugle qui ravage notre Afrique contemporaine, au Libéria, en Sierra Leone, au Congo, au Rwanda, en Côte d’Ivoire, au Darfour, ce spectacle rappellera l’économie de moyens, l’intelligence, la sobriété, la retenue de la violence et la guerre qu’il fallut exercer pour, comme ont dit les griots « que les larmes s’éloignent et que les rires parlent au monde ». S’adressant aux citoyens du nouvel empire, les griots leur ont donné les bonnes nouvelles qui accompagnent l’unité retrouvée : « Désormais, si tu veux du sel, ne va pas aussi loin que Nema, va à Niani. Si tu veux de l’or, ne va pas aussi loin que Bonne et Naglam, va à Niani. Si tu veux du poisson, ne va pas à Koulikoro, va à Niani », … etc…

Les vertus de l’unité, les moyens qui conduisent à la paix et à la prospérité sont quelques unes des leçons enseignées par cette séquence de notre histoire. Il en est d’autres : comme l’interdiction de l’esclavage de l’homme noir, comme l’élaboration et l’adoption consensuelle d’une charte portant loi fondamentale, édictant les droits inaliénables de la personne humaine, réglementant la coexistence des groupes sociaux, des classes d’âges, des hommes, des femmes, des jeunes et des anciens, la gestion des biens communs, etc…

Voilà l’idée que nous avons-nous, vous la soumettons – Djibril Tamsir NIANE a rédigé une première mouture d’une vision théâtrale de ce spectacle sur laquelle, il continue de travailler avec d’autres écrivains et créateurs.

Ce que nous souhaitons à ce stade, c’est de partager cette idée avec vous. C’est d’étoffer le comité d’initiative restreint que nous constituons d’une part à l’apport de l’expertise de ceux d’entre nous qui sont dans cette salle et qui pensent de par leur spécialité propre contribuer à cette grande œuvre, et d’autre part, en nous signalant les noms et les coordonnées de tous les artistes, créateurs, techniciens qui leur paraîtraient pouvoir constituer des personnes ressources.

Nous souhaiterions que l’Union Africaine, par le truchement du CELHTO, son bureau spécialisé, assure la tutelle du projet.

Posté   le 30 Aug 2007   par   biko

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