Les conséquences de la crise financière internationale et Afrique

Google+ Pinterest LinkedIn Tumblr +

La crise financière est-elle une « crise des riches » indolore pour l’Afrique ? Crise des riches, ou « crise de la tête des occidentaux » : pour le Président Wade Président du Sénégal présent à la première World Policy conference à Evian (en France du 6 au 8 octobre 2008), la crise financière internationale n’est pas très grave, ce n’est qu’une crise de riches et pour riches dont l’Afrique serait exclue.Nous sommes au cœur des erreurs que commettent souvent les principaux dirigeants africains dont la maîtrise du développement de leur pays n’est que « politique », et malheureusement pas économique et financière. La réalité est tout autre car la crise financière actuelle née des subprimes et des innovations financières va à long terme modifier les règles de gouvernance économique dans le monde, la gestion des établissements bancaires et la mise en place d’un nouveau modèle économique dans lequel le retour de la puissance publique dans les affaires privées va symboliser le triomphe de l’économiste anglais Keynes favorable à l’intervention de la puissance publique, contre son homologue américain Milton Friedman parangon du laisser-faire et du libéralisme triomphant auquel sont confrontés les Etats africains depuis les années 90 avec les politiques de privatisation tout azimut suggérées par le Fond monétaire international et la Banque mondiale.Comment la crise financière va-t-elle avoir des conséquences sur l’Afrique ? Plusieurs pistes d’analyse peuvent être évoquées. Sur le plan de l’aide dont les pays africains sont souvent friands, on va assister à une baisse drastique de celles-ci car la crise économique va impacter les situations nationales dans les pays européens sur les plans de la croissance économique, des investissements, de la distribution du crédit aux ménages et aux entreprises de façon négative. La charité bien ordonnée nécessite que les pays occidentaux donateurs se consacrent d’abord, et ce qui est normal, à leurs populations.L’aide qui avait déjà commencé à se réduire comme peau de chagrin risque de diminuer encore sans disparaitre car les occidentaux ont besoin, malgré les difficultés, de réaffirmer leur influence politique dans les pays africains. L’aide est une des occasions de le faire, cette aide souvent liée à des crédits commerciaux et favorisant les entreprises européennes avec la bénédiction des dirigeants africains n’est pas prête de disparaitre. Il faut maintenir l’aide, ou sa fiction, pour que l’influence occidentale reste forte.

Au niveau des établissements bancaires, les banques occidentales en général, européennes en particulier sortent amoindries de la crise financière internationale. Un certain nombre d’entre elles ont disparues, comme Lehman Brothers banque d’affaires américaine rachetée par la Barclays Bank ou comme Fortis la banque de dépôt Belgo-luxembourgeoise spécialisée pour les crédits aux collectivités locales rachetée par BNP Paribas. Les rapprochements en cours entre la Société générale et Dexia, le feu vert à la fusion entre l’écureuil et la Banque populaire à la suite des pertes abyssales de leur banque d’affaires Natixis, les déboires de la banque d’investissement Caylon filiale du Crédit agricole qui a racheté entre temps le crédit lyonnais, montrent que le paysage bancaire occidental, surtout européen, change.

Les banques européennes sont quasiment à l’heure de la nationalisation car il faut ramener la confiance à tout prix. On pourrait multiplier le cas des banques ou établissements financiers en perdition et au chevet desquels se trouvent les Etats occidentaux (Etats Unis : Bear Stearns, AIG, Freddie Mac et Fannie Mae. Islande : Landsbanki, Glitnir, Kaupthing bank. Royaume Uni : Northern Rock, Bradford et Bingley. Bénélux : Dexia, Fortis. Allemagne : IKB, HRE). Pour toutes ces banques les différents Etats interviennent pour réduire l’ampleur de la crise, et on pense qu’à long terme le contrôle des Etats sera plus durable.


Pourquoi citer toutes ces banques ? Elles ont soit directement, soit par des participations croisées, des intérêts dans des établissements bancaires africains. Un cas d’école simple : qu’adviendrait-il si les pertes de Calyon filiale du Crédit agricole se révélaient plus importantes ? La société mère, le Crédit agricole, n’hésiterait à faire remonter, ce qu’elle fait déjà, les fonds issus des dépôts dans les pays africains vers la maison mère en France. Nous savons déjà que les banques occidentales en Afrique ne participent pas au développement des pays africains, mais contribuent à accompagner les entreprises françaises qui sont installées en France et qui font du commerce extérieur. On peut penser que les opérations de remontée de profit des filiales africaines vers les maisons mères sont neutres car les filiales des banques occidentales ne participent pas au développement des pays africains. La neutralité est relative car les règles d’optimisation et de fonctionnement dans la CEMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) et dans l’UMEOA (Union monétaire des Etats d’Afrique de l’ouest) oblige les banques à des exigences de dépôt et de financement conditionnel des projets de développement et d’octroi de crédit aux ménages et aux entreprises.

L’Afrique de la zone CFA comme à son habitude traditionnelle devrait convoquer une réunion au niveau des chefs d’Etat pour tirer les conséquences de la crise financière et acter pour des choix stratégiques visant à renégocier les conditions d’installation des filiales de banques étrangères dont les critères de gestion au nom de la régulation étatique seraient orientés vers le financement des projets de développement initiés par les entreprises et les ménages. C’est une chance pour l’Afrique, c’est une chance pour les dirigeants africains pour faire valoir leurs intérêts nationaux. Il faut que l’Afrique sorte d’un modèle économique bancaire organisé autour du financement du commerce pour aller faire le financement de la production. L’Afrique doit profiter de la problématique de la consolidation des fonds propres dans les banques occidentales pour imposer un point de vue correspondant à ses intérêts nationaux.


Le dernier aspect de la crise vise la problématique de la régulation de l’économie par la puissance publique. Alors que Keynes avait été relégué au fond des tiroirs et des mémoires, au nom du libéralisme triomphant, les Américains chantres du libéralisme universel, ont adopté le plan Paulson qui permet à l’Etat américain de lever 700 milliards de dollars pour aider les banques à surmonter la crise. N’épiloguons pas sur les insuffisances d’une telle mesure car dans un marché de l’immobilier américain de l’ordre de 7 000 milliards de dollars, les subprimes, qui représentent donc les produits toxiques dont il faut se débarrasser, représentent un marché de 1 700 milliards. Il faut retenir le retour du patriotisme bancaire dans tout le monde occidental qui se traduit par des injections gigantesques de liquidités entrainant des augmentations de capital massives en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie : des garanties publiques pour des dépôts et des crédits sont accordées. Partout, on assiste au soutien des banques qui sont au bord d’une crise de liquidités voire de solvabilité pour certaines d’entre elles. L’Afrique doit méditer ce sauvetage à grande échelle où l’Etat intervient pour repenser ses missions basiques d’allocation des ressources, de redistribution et d’organisation de la vie politique et économique au lieu de se laisser enfermer par des idéologies importées.

Les dirigeants africains parlent du patriotisme en faisant référence aux politiques de libération coloniale des années 60, sans toujours intégrer les transformations du monde actuel dominé par la mondialisation et les rapports de force. On est forcé de penser que lorsque les rapports de force sont intégrés, ils le sont d’abord pour les dirigeants et pour leurs propres intérêts. La crise financière est admirable car elle doit permettre aux présidents africains de réfléchir sur leur gouvernance, sur leur politique et sur l’impérieuse nécessité au-delà de leurs égoïsmes nationaux et de leurs égocentrismes individuels, de travailler de manière optimale en sollicitant toutes les forces productives de leurs pays respectifs, locaux et diasporas : pour des petits pays il faut travailler de façon intelligente ; Ensemble.

Lucien Pambou
Economiste
Diplômé de Sciences Po Paris
Co-fondateur et premier secrétaire général du Cran, Conseil représentatif des Associations noires
Conseiller municipal Alfortville

Posté   le 16 Oct 2008   par   biko

Share.

About Author

Comments are closed.