Pagnes africains, cultures et rivalités sociétales: «Je cours plus vite que ma rivale»

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Je cours plus vite que ma rivale, ton pied mon pied, tu sors je sors, jalousie, œil de ma rivale, chérie ne me tourne pas le dos, tels sont quelques uns des noms célèbres de pagnes qui font le succès des vendeuses de tissus des marchés d’Afrique de l’Ouest, Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Guinée, etc. On peut être frappé par l’élaboration de ces noms et leur rapport aux motifs imprimés sur les textiles et vêtements, géométriques, organiques -œil, peau, ongles, pied, …-, et autres. C’est que ces tissus très souvent d’importation hollandaise -wax hollandais- mais aussi issus des manufactures locales pour les fancies, revêtent une importance qui va bien au-delà du simple aspect vestimentaire. Ils sont en fait le véhicule d’un ensemble de messages sociétaux, abritent un langage symbolique, métaphorique, derrière lequel se résolvent, se suspendent, se neutralisent bien des tensions, rivalités, et expression de fierté, d’affection, de colère.

Par exemple pour un motif avec deux chevaux ce sera l’occasion d’aborder les relations sentimentales délicates hommes femmes et l’éternelle question du passager clandestin de l’histoire, la rivale : Je cours plus vite que ma rivale. Une cage ouverte avec deux oiseaux et l’affirmation de l’égalité des sexes, de l’émancipation de la femme trouvera une belle fenêtre de tir en dénommant le tissu tu sors je sors ! Il n’en ira pas différemment de ton pied mon pied, pagne sous-entendant que l’à où l’homme va la femme peut aller. Tout un programme donc que ces noms de pagnes et leur utilisation quotidienne, achat, vente, port, dons, commentaires, bouche à oreille.

Toutes ces rivalités sentimentales ou de genre trouvent dans le pagne un lieu d’expression et de visibilité maximales sans devoir en découdre par des moyens physiques autrement aventureux. Une véritable animation sociétale prend ainsi les tissus, leurs motifs et évocations pour terrain de jeu, bénéficiant de la grande publicité que savent en faire les importatrices et revendeuses de marché, les fameuses femmes d’affaires ouest-africaines qui se sont enrichi sur ces commerces, les Nana-Benz.

Très vite les institutions politiques, les grandes entreprises, les associations, les églises et religions ont perçu le lien culturel qu’il y a avait entre les tensions, rivalités sociétales et les textiles imprimés. Il est apparu évident que le pagne et sa réinterprétation africaine comme support de communication et langage en soi pouvait servir de véhicule à l’image des institutions. Depuis près de cinquante ans les campagnes politiques, sur des événements datés ou récurrents mettent au centre de leur outils stratégiques l’émission de pagnes étudiés pour les circonstances : élections présidentielles, création de partis politiques, villes mortes, mots d’ordres de grèves et d’opposition etc.

Les firmes multinationales déclinent leurs slogans, leurs stratégies globales actives localement sur des pagnes qui relaient leur image de marque. Les grandes campagnes sportives internationales, celles destinées à soutenir les équipes nationales aux phases finales des coupes du monde sont aussi des occasions classiques de nouveaux pagnes, de nouveaux motifs et d’accélération des ventes.

De tous ces usages, la rivalité, la compétition, la concurrence, le défi, sont les axes qui demeurent assez vendeurs, pouvant jouer dans la sphère des relations privées entre amoureux ou dans l’arène politique entre plusieurs postulants à une même charge élective. Nombreux sont ceux qui pensent qu’une campagne de masse pourrait échouer du fait du mauvais choix de pagne, motifs, noms, couleur, … D’aucuns vont jusqu’à donner des interprétation ésotériques aux noms et imprimés que les communicants mettent en circulation.

Un des enjeux défendus par des sociologues et spécialistes de santé publique résident dans l’utilisation judicieuse des ces pagnes dans les messages de lutte contre les maladies graves comme l’infection du VIH, en reproduisant les règles d’or du pagne à succès, et pourquoi pas en détournant les motifs gagnants qui alimentent le débat, les jalousies, fiertés, et questionnements depuis des décennies. Cela pourrait donner de notre libre point de vue : Je cours plus vite que ma rivale Sida, je me protège, …
 
Entre esthétique, vestimentaire et économie, le pagne est en définitive comme le papyrus, le support d’une écriture sociétale permanente.

Source: Afrikara.com

Posté   le 18 May 2007   par   biko

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