Faut-il brûler la négritude ?

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Au sens communément partagé, «la est d’abord une négation, et plus spécialement l’affirmation d’une négation. C’est le refus de s’assimiler, de se perdre dans l’autre. Mais le refus de l’autre, c’est l’affirmation de soi». (Henry Maurier). Concrètement, comment le colonisé s’affirme-t-il ? Pour des écrivains comme Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor, la colère, le retour à soi et le lyrisme ont été les choses poétiques les mieux partagées.

Senghor précise que du côté de son contenu pratique, «la négritude est l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir». Le colonisé s’affirme donc en se réfugiant dans ses valeurs ancestrales. Que peut-on indiquer comme étant l’essentiel de ces valeurs ? A la suite des fondateurs et comme eux, les écrivains négritudiens s’accordent à reconnaître que les valeurs de base spécifiques désignant le Nègre comme «cogito» à part, peuvent se situer autour des trois axes que voici.
Le sentiment, c’est-à-dire «sa raison-étreinte».

La communion à la nature qui le contre distingue des hommes de l’artifice en le désignant comme «homme de la nature».
Et parfois, on déduit de là une esthétique et une manière d’être propres aux nègres : dans son livre, Les sociétés africaines veulent exercer leur droit à la culture, A. N’daw affirme : «Reprenons le style de vie traditionnel et évitons l’importation des valeurs de pacotille».
Si le Nègre maintient en lui une conscience vive de ces trois dimensions de sa personnalité, pense-t-on, il peut alors déclarer en toute fierté : «je danse donc je suis». Or, le mouvement de la négritude et l’identité du Nègre ainsi décryptée en sa culture sont-elles originales ? La négritude comme «négation d’une négation» a-t-elle vraiment produit au monde une «affirmation» ? Que gagnent nos élèves et étudiants, aujourd’hui, à intérioriser la doctrine et l’esthétique de la négritude ?
Sur l’originalité de la négritude et l’identité du Nègre

Avoir recours à ses propres soubassements culturels pour se défendre contre l’envahisseur est une réaction qui ne peut être attribuée, ni en priorité ni en exclusivité, aux écrivains de la négritude. Entre celle-ci et le Sturm und Drang allemand de la fin du XVIIIe siècle par exemple, il y a de nombreuses similitudes. D’un côté et de l’autre, on retrouve l’envahisseur français. Selon les écrivains allemands pré-romantiques, il n’a pas tenu à sa promesse révolutionnaire, puisque les défenseurs de la liberté à la française, sont devenus les soldats de la terreur. Napoléon saccage l’Allemagne et s’attire, entre autres, la colère exaltée des poètes allemands parmi lesquels on peut citer particulièrement Klopstock, artisan du retour aux sources nationales. En Afrique coloniale, on s’attendait à une mission civilisatrice, la poudre et le canon sont arrivés les premiers. De Aimé Césaire à David Diop, la colère, le retour à soi et le lyrisme ont été les choses poétiques les mieux partagées. Pour «échapper au sentiment d’infériorité, il faut imposer sa prépondérance par la culture… En Allemagne, cela s’appellera le romantisme». Les premiers, les écrivains du Sturm und Drang ont dressé, contre la raison française, les valeurs humaines germaniques parmi lesquelles figuraient en bonne place, l’émotion et la sensibilité. Henri Zerner commente : «On était las de la raison trop longtemps prônée, de l’intellectualité qui insistait pour comprendre avant de sentir». A travers les thèmes comme ceux de la nature, des sources bibliques, des tombeaux, des ruines, du désespoir, de la nuit, les écrivains du Sturm und Drang «percent au jour le mensonge de la sérénité hellénique», faisant du pré-romantisme, un mouvement littéraire dont nous retrouvons les traits dominants dans la négritude. Cette germanité-là et cette africanité-là, ne sont-elles pas toutes deux, l’expression d’un sentiment blessé auquel il arrive de s’abaisser jusqu’à la fadeur des oppositions et des généralités fantastiques du genre : «L’émotion est nègre, la raison hellène». Ou, «la civilisation africaine a pour origine, la connaissance sacrale de l’univers». Tant d’autres exemples existent, nous montrant que la négritude n’est pas aussi originale, ni le Nègre aussi originel au point que nous devrions y trouver l’ultime prétexte pour retourner à des sources dont personne n’a jamais vu les eaux.
Sur la négritude, «négation de la négation»

Ce n’est pas par des discours que l’Afrique a été niée. Pour parodier Alain, on peut dire : il n’y a qu’une seule négation : militaire ; toutes les autres font rire et laissent rire. Ce qui prolonge la victoire politico-militaire pour la stabiliser, c’est le pouvoir économique avec tout son prestige et tous ses privilèges, la science et la technique, par exemple. La domination culturelle, dans l’ordre logique du fonctionnement du système colonial, ne vient peut-être qu’en troisième position, pour pousser le colonisé à intérioriser les modèles et les archétypes de la civilisation dominante. Si le colonisé survit à cette violence paisible, «il sera fier de sa honte et de sa peur» et, avec cette fierté douteuse se terminerait le processus de la colonisation douce. Dans la négritude comme dans le Sturm und Drang, la «négation» prend la forme d’une vision romantique du monde. On confond l’évocation poétique des choses avec la possession effective de ces choses. L’Afrique ne se pose qu’en se retirant. Penché au-dessus des sources, Narcisse regardait son propre visage. L’homme noir y contemple son propre nombril. La négation poétisée de la négation militarisée n’est pas une affirmation.
La négritude, une poétique de l’innocence déçue

Les ordres que donne la négritude au colonisateur s’énoncent comme l’impératif catégorique de Kant : «Tu dois, donc, tu peux». On établit les cartes de la violence coloniale. On dénombre les horreurs en soulignant les actes de vandalisme les plus inouïs. On suscite l’émoi et l’émotion en rappelant que les veuves et les orphelins de la colonisation sont toujours parmi nous, et que de nouveaux colonisateurs sont en route pour l’Afrique. La responsabilité historique et morale étant établie, on procède d’abord au renversement de l’impératif kantien – le colonisateur est puissant, il peut nous aider, donc il doit nous aider – et on va ensuite déposer la plainte auprès des ancêtres, de Dieu, de l’Histoire ou de l’ONU pour obtenir des réparations. Mais le colonisateur ne redoute pas la revanche des collines sacrées puisqu’il les a toutes brûlées. Nous avons consenti à prendre ses ancêtres pour les nôtres, lui, il n’a jamais considéré les nôtres comme étant les siens. Dieu ? Il y a longtemps que le colon l’a déclaré mort et a séparé, à sa mémoire défendant, action morale et action historique. Pas question qu’il soit inculpé devant l’histoire ou l’ONU, puisque c’est lui qui a créé l’une à la ressemblance de l’autre et toutes deux à sa propre image.
Par le détour de l’histoire contre définie et condamnée comme une suite d’actes immoraux, «les fils aînés du monde» se congédient eux-mêmes de l’histoire qui se fait. Ils poétisent l’innocence ancestrale, réintègrent les sources originaires où «ils s’abandonnent à l’essence de tous les souffles du monde/lit sans drain du feu sacré du monde». (Aimé Césaire) Ainsi, les œuvres de la colonisation brutale se suppriment pour se conserver comme manœuvre d’un malin génie noir, inventeur d’une négrologie.

Posté   le 22 Mar 2007   par   biko

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