Météorologie populaire des Soninko et proverbes Soninké

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Parmi les proverbes que j’ai recueillis, deux seulement comportent une prévision météorologique 1. Ils présentent une certaine similitude, dans la mesure où tous deux établissent un lien entre la saison des pluies et la saison fraîche. Le premier évoque la succession dans le temps de deux apports en eau, la pluie et la rosée :

  •     Kanmen ga na kuti, a ni falle toqqo nigijen ya maxa.
  •     Quand la pluie a cessé, elle laisse la rosée derrière elle.

C’est là son sens littéral mais, en tant que proverbe, sa signification est tout autre. Il s’agit, en effet, des rapports de préséance entre aîné et cadets, entre maître et élèves. Au cours d’une réunion, par exemple, si le plus âgé doit s’absenter, il peut dire ce proverbe afin que les plus jeunes continuent de parler sans lui. Il autorise, en quelque sorte, un certain partage du savoir et du pouvoir, tout en réaffirmant la place de chacun.

Une autre expression établit un rapport entre la saison des pluies et la saison froide :

  •     Xaaxon ga na siro, mullen xa sirono ya.
  •     Si l’ est bon, la saison froide sera bonne.

Une variante insiste sur le lien qui existe entre les qualités de l’hivernage et de la rosée :

  •     Xaaxon ga na siro, nigijen xa sirono ya.
  •     Si l’hivernage est bon, la rosée sera bonne.

Concrètement cela signifie, comme on l’a vu plus haut, que certaines cultures d’hivernage et que les cultures de décrue pourront bénéficier de la rosée pour se développer, mais aussi qu’il sera difficile de faire des briques à cause du froid et qu’il faudra faire provision de bois de chauffage. En tant que proverbe, cette expression veut dire que les qualités d’un enfant dépendent de celles de sa mère et, par conséquent, de l’éducation qu’il en a reçue : “telle mère, tel enfant”, autrement dit !

Il faut donc distinguer, dans ces deux exemples, deux niveaux de signification : si dans leur sens littéral ces expressions apparaissent comme des prévisions météorologiques, lorsqu’elles fonctionnent réellement comme proverbes, le climat n’est plus qu’un prétexte pour exprimer autre chose. Il s’agit donc plutôt de “maximes2  météorologiques, dont la portée en tant que proverbes concerne d’autres domaines.

Il existe par ailleurs de nombreux proverbes, ou devinettes soninké, dont certains termes renvoient au calendrier, à des éléments du climat ou de l’univers : l’année, le jour, l’hivernage, le vent, la pluie, le soleil, la lune. Mais il s’agit simplement de références, dénuées de rôle prévisionnel.
Je suis parvenue aux mêmes constatations pour d’autres sociétés d’Afrique Noire 3 : pas de proverbes météorologiques comparables à ceux qui existent en Europe mais plutôt des proverbes, des maximes ou des devinettes comprenant des références aux éléments du climat ou bien aux récoltes. Cette situation pourrait s’expliquer par la variabilité du climat, dans le cas du Sahel, et d’une façon générale pour l’Afrique Noire par l’absence de repères fixes dans le calendrier. Cette dernière hypothèse semble confirmée par l’analyse de proverbes utilisés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Dans le monde arabo-musulman, à côté du calendrier religieux, lunaire, des calendriers agricoles, solaires, se sont maintenus, tels que le calendrier julien, syriaque, etc. Il existe donc, comme dans le calendrier grégorien, des repères mensuels en rapport avec le déroulement des saisons. En Afrique du Nord, on trouve une grande diversité de prévisions et de proverbes : des prévisions météorologiques qui ne s’expriment pas sous forme proverbiale (Joly, 1905), des dictons rimés ou des proverbes qui font référence aux astres et au climat sans comporter de prévision (Brunot, 1928 ; Pellat, 1955), ou encore des proverbes météorologiques à très court terme, comme celui-ci :

« Si un arc-en-ciel apparaît le soir, trouve-toi un endroit chaud, s’il apparaît le matin, va jouer en plein air, mais s’il s’étend d’est en ouest, va dormir au bord de la route» (Al Amily, 1985 : 236-237) 4.
Quant aux proverbes qui se rapprochent le plus des proverbes météorologiques français, il s’agit de ceux qui font référence au calendrier julien, comme ce proverbe marocain :
« Lorsque le mois de mars est pluvieux, le mois d’avril nuageux et le mois de mai pur et ensoleillé, [c’est signe que] le tiers de la récolte reste disponible» (Benchehida, 1930 : 16).

Au Moyen-Orient, les proverbes sont également très courants, dans le domaine météorologique notamment. Chez les chrétiens maronites du Liban, ces proverbes peuvent prendre pour référence les mois du calendrier syriaque,

« En décembre et janvier reste chez toi avec une grande provision de bois et d’huile» (Feghali, 1938 : 555),

ou bien des fêtes religieuses, fixes par rapport à l’année,

«De la naissance au baptême [de Jésus-Christ], l’eau r este figée en colonne» (Feghali, 1938 : 566).

D’après ces différents exemples, l’existence de repères temporels relativement identiques d’une année sur l’autre semble donc déterminante pour la formulation de proverbes météorologiques. Encore une fois, il paraît bien difficile de dissocier le temps qu’il fait du temps qui passe !

Conclusions

En , où la météorologie scientifique ne s’est pas encore imposée, la météorologie populaire intervient toujours, dans certaines limites, parmi les différentes stratégies de lutte contre les aléas climatiques. Mais ce savoir n’est guère reconnu que par ceux qui en font usage. On est loin de la situation européenne où la science météorologique “commenc[e]aujourd’hui de s’ouvrir à l’idée d’une validité des observations empiriques” (de La Soudière, 1990 : 21) 5. Il s’agit d’un domaine encore peu exploré au Sahel, qui soulève sans doute des problèmes spécifiques. A priori le comportement des végétaux et des poissons semble davantage refléter l’hivernage précédent qu’annoncer celui à venir 6. Toutefois bien des processus sont encore mal connus, en ce qui concerne la physiologie des arbres notamment. La fructification, qui intervient souvent dans les prévisions soninké, constitue pour les naturalistes la phase phénologique la plus délicate à observer, sans parler des prédateurs qui peuvent fausser les estimations de production (Poupon, 1980 : 130, 149, 265, 286). Dans leur tentative de prévoir le temps, les Soninké procèdent d’une autre lecture de la réalité, dont on s’apercevra peut-être un jour qu’elle n’est pas dénuée de fondement… Quoi qu’il en soit, l’étude de la météorologie populaire permet d’appréhender une société, une culture et un certain regard sur le monde.

Remerciements…

Je remercie et D. Fofana avec qui j’ai pu vérifier et préciser certaines données, ainsi que M. Hafid qui m’a aidée à m’orienter dans le domaine maghrébin.

Monique Chastanet


Annotations

1. Voir aussi les proverbes cités dans , 1987 : 127-129.
2. J’entends par là une expression plus proche de la réalité et moins symbolique qu’un proverbe.
3. Ashanti (Rattray, 1916), (Travele, 1923), Bété (Holas, 1968), Dogon (Lifchitz & Paulme, 1938), Hausa (Rattray, 1913), Kanem et Bornu (Koelle, 1968), Kru (Herskovits, 1930), Mossi (Bonnet,1982), région du Fouta Toro (Gaden, 1931).
4. Concernant ce type de proverbes, voir aussi Lunde & Wintle (1984).
5. Voir aussi le météorologue Chassany (1986 : 8 & 45) qui parle d’“approche scientifique au quotidien” ainsi que les articles de Pelosse et Rudnev, dans ce volume.
6. La reproduction des poissons ayant lieu dans les zones inondées, la superficie et la durée de la crue en sont des facteurs importants. Le moment et l’intensité des précipitations ont des effets sur le calendrier phénologique des plantes. Je laisserai de côté le cas des oiseaux qu’il faudrait examiner espèce par espèce.

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