Ethique et Afrocentricité : Sauver un grand espoir

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 Ethique et Afrocentricité : Sauver un grand espoir, idéologie et dynamique sociale née aux Etats-Unis dans les années 50-60 et animée en grande partie autour des travaux de Temple University à Philadelphie a représenté et continue de représenter un espoir pour les Afrodescendants et les Africains du monde. Du point de vue conceptuel, ainsi que le répète son plus éminent représentant, le Pr Molefi Kete , il s’agit pour tous les Africains de la planète de mettre l’Afrique, les valeurs africaines, l’expérience historique africaine et son devenir au centre de leurs préoccupations. Un changement de paradigme et de localisation mentale qui devrait générer des bouleversements sociopolitiques importants tant l’histoire a déporté physiquement autant que mentalement les Africains d’eux-mêmes, les aliénant, les laissant à cheval entre des moignons de leur conscience et le mimétisme stérile des Autres.

Le paradigme afrocentrique qui n’a rien d’afrocentriste, comme le disent imprudemment quelques Afrocentriques parisiens de la dernière pluie, considère au sommet de la pyramide intellectuelle les travaux du savant africain sénégalais Cheikh Anta Diop. Ils sont la porte d’entrée en Afrocentricité intellectuelle et l’historien auteur de Nations nègres et cultures se voit attribuer par le Pr Asante le statut d’afrocentrique parfait (accompli), tant ses travaux reflètent et ne reflètent que la volonté de servir l’Afrique dans l’humanité, d’exhumer son passé dans la longue marche des civilisations vivantes ou éteintes afin de lui redonner un cap vivifiant.

Les années 80-90 furent marquées par la dynamique afrocentrique aux USA, et nombre de films, d’ouvrages, d’objets culturels divers en témoignent. Le formidable regain d’intérêt pour l’authenticité africaine, vestimentaire notamment doit beaucoup à cette théorie, et les Kente, Bogolan, artisanats africains ont pu faire une percée sur les marchés US sous le corridor de cette tendance, bénéficiant aussi de la mode «ethnique» qui avait déjà gagné ce pays multiculturel. Un toilettage afrocentrique de l’esthétique africaine américaine permit d’augmenter les possibles de créativité des Afrodescendants revenant à la source du continent (défilés de mode, tenue de sorties, uniformes de remises de titres, …)

La France (et les pays francophones), marquée par un refus, un rejet et pour quelques uns une peur de l’ouverture culturelle, placée devant l’incapacité des élites classiques -blanches- à penser l’altérité, s’est recroquevillée sur des prétextes enfantins pour fermer la porte à ces autres façons de voir le monde, l’Europe, l’Afrique. Le monopole africaniste sur l’Afrique dicible [Européens enseignant (leur) l’Afrique] a éjecté toute vision africaine de l’Afrique en dehors de l’université, avant tout débat et toute discussion. L’Afrocentricité ne pouvait donc s’exprimer au cœur du monolithisme républicain qui s’est peu à peu mué en tyrannie du pareil au même, en injonction de blanchitude ou d’invisibilité.

Dans cet environnement où les Africains et Afrodescendants commencent à faire entendre des voix discordantes des discours convenus, depuis les années 80 mais avec davantage d’échos et de relais communautaires dans les années 90, apparaît la terminologie afrocentrique en France, à Paris surtout. Fin des années 90 début des années 2000, les questions négrières et coloniales refluent, les discriminations deviennent insupportables avec des taux de chômage records des Non-Blancs et la fin des illusions de l’antiracisme officiel, les SOS et princes consorts.       

L’Afrocentricité s’implante sur des générations frustrées d’histoire africaine et afrodescendante valorisante, avides de dignité plus que de connaissances souvent -ce qui aura un impact sur les contenus des producteurs sans scrupules. Conférences, débats, colloques, sites Internet vont représenter un élan formidable, une poussée presque inédite en dehors des circuits officiels, mais avec une force de mobilisation incroyable, à en déduire du nombre de participants aux rencontres, colloques, et lecteurs assidus de pages Internet spécialisées.

Simplement l’Afrocentricité en tant que paradigme requiert une production intellectuelle, des supports, des contenus scientifiques et de vulgarisation, en gros un secteur plus ou moins intégré allant de la formation, de l’usage des «cerveaux» à l’édition journalistique, de livres, et autres supports culturels. C’est ainsi que plusieurs acteurs se sont mis en scelle, avec des résultats au départ encourageants au moins du point de vue de la mobilisation.

Assez vite pourtant il est apparu qu’il ne suffisait pas de crier à la Maât pour respecter ses propres engagements à l’égard de la communauté des «Hotep». Aujourd’hui la maison Menaibuc a fait l’objet de condamnations judiciaires (2006), contre lesquelles elle a interjeté appel. Ses pratiques rapportées depuis longtemps par des témoins et victimes à l’instar de d’autres moins en vue, ont contribué à discréditer des éditeurs africains, afrodescendants sérieux. Plusieurs Africains et Afrodescendants, de bonne foi ont souhaité travailler entre «frères», lesquels «frères» se sont avérés êtres de la pire espèce d’escrocs, laissant dans des situations humainement intolérables des jeunes auteurs, des collaborateurs fidèles, dévoués. Leurs sacrifice et abnégation ont été littéralement soufflés par des véreux, en édition, en événementiel, en librairie, en promotion culturelle, et ils n’ont pas touché le minimum digne du fruit de leurs efforts. Ce qui, lorsque l’on connaît la précarité des écrivains, artistes, acteurs culturels africains et afrodescendants en France est très grave. Ajouter la vulnérabilité à la précarité de gens qui proposent des solutions collectives aux maux qui minent la collectivité…

Une jeune Afrodescendante après de longues années de travail invente un jeu de société sur l’Afroculture, Tambour battant, le premier du genre en Français. Elle contracte avec un éditeur de la communauté africaine en qui elle met toute sa confiance, celui-ci la ligote par des exclusivités et dispositions telles que le jeu perdra plus deux ans de promotion, bloqué par celui devait en être le promoteur, et qui a failli déposséder l’auteure.

Un site Internet très connu pour sa terminologie afrocentrique plagie les auteurs dont il se réclame, abusant de la relative jeunesse et méconnaissance des auteurs de son public et d’une certaine euphorie des temps baptismaux. Un comble, une place à terminologie afrocentrique, qui ne reconnaît pas sa dette aux Diop et aux Obenga, dont ils parlent par ailleurs en permanence, on croit rêver ! Et cela ne s’arrêtera pas là puisque une partie de la production livresque de cette tendance s’illustrera par les mêmes travers : plagiats, fautes, contresens, traductions calamiteuses, …

Un spectre de pratiques allant de l’exploitation pure et simples des hommes et des femmes au nom de … la Maât, principe de justice, d’équilibre, d’harmonie.

Sur le plan intellectuel, la volonté de faire du chiffre, seul véritable horizon de trop de places se réclamant de l’Afrique, a progressivement rabaissé le niveau des productions à mesure que les titres ronflants étaient attribués aux commis de service. Le terrain de l’Afrocentricité est désormais une friche pour partie et risque d’être une ruine pour l’autre. Les questionnements essentiels n’apparaissent plus. Les dimensions fondamentales, appliquées ne sont plus identifiables, quand elles existent, et le lucre sur le dos de l’autre Noir, reste la toile de mire des opérateurs sans scrupules. Le risque collectif est de passer d’une absence de production afrocentrique, à une production afreucentrique, médiocre sur la forme, catastrophique sur le fond, se servant de l’impression d’Egypte comme d’un gris-gris aimantant des foules déchaînées.

Les acteurs culturels vertueux, disposant de la maîtrise des enjeux intellectuels, et qui ont des champs de collaboration évidents à exploiter sont en partie responsables d’une situation où, en connaissance de cause ils ont laissé prospérer des Afrocentriques voyous. Les productions qui en découlent discréditent l’ensemble des institutions relevant de l’Afrocentricité, directement ou indirectement, et éloignent de potentiels collaborateurs, étudiants, chercheurs, peu désireux de s’encanailler avec une production livresque, culturelle par moment indéfendable voire ridicule. Une certaine passivité vis-à-vis de comportements d’exploitation de la précarité communautaire a été favorisée par la volonté d’éviter des conflits intra-communautaires, et au nom soit disant d’intérêts communs. S’il y avait le moindre intérêt commun entre un faussaire utilisant l’Afrocentricité, la renaissance, et autre comme un appât, et sa victime, il y en aurait autant entre une chose et son contraire.

Le grain à moudre ne manque pourtant pas. Afrocentricité, renaissance africaine, panafricanisme, quels liens, quels rapports, quel statut accorder à l’histoire dont l’étude est tenue pour évidente. Quelles directions en matière de sciences, sciences sociales, politiques, à quelles fins pratiques, philosophiques, etc … Un champ de réflexion passionnant au sujet duquel les acteurs concernés devraient réellement prendre la mesure de l’urgence [Lire «Appel à la Jeunesse africaine» de Théophile Obenga].

Les espoirs de l’Afrocentricité demeurent intacts, il est nécessaire par contre que l’éthique prenne toute sa place comme dans toutes les choses appelées à durer et à produire de l’effet. Il y a sur ce chemin une infinité de choses à écrire, à traduire, à rééditer, à enseigner, à débattre, à inventer, à scénariser, à architecturer, à conter, à jouer, … faisant du travail sur l’Afrocentricité et ses déclinaisons, un engagement qui par lui-même réalise sa promesse afrocentrique.

Akam Akamayong

Source: Afrikara

Posté   le 02 Dec 2007   par   biko

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