Octobre 1958 : Sékou Touré et la Guinée disent non à la France

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    Le 2 Octobre prochain, la Guinée Conakry fêtera le 50ème anniversaire de son indépendance. C’est l’occasion pour nous de revenir sur un événement qui fit de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest un symbole d’espoir pour tous les africains encore soumis à la domination coloniale. Le 28 septembre 1958, toutes les colonies françaises, ou Territoires d’Outre Mer comme on les appelle à l’époque, acceptent d’entrer dans la Communauté française, une nouvelle forme d’organisation de l’empire français, sauf…la Guinée. Par son “Non” désormais célèbre, elle accède à l’indépendance et devient un symbole de liberté pour toute l’Afrique. Son leader, , est érigé en héros de la décolonisation. Nous tenterons ici d’apporter un éclairage sur les conditions particulières qui ont conduit la Guinée à prendre seule ce chemin de la liberté et à devenir une référence dans l’Histoire des indépendances.Après la Seconde Guerre mondiale, il apparaît de plus en plus clairement que le statut des colonies est appelé à évoluer vers plus d’autonomie, sinon vers l’indépendance. En effet, la jeune Organisation des Nations Unies ne proclame-t-elle pas le « droit des peuples à disposer d’eux mêmes »? Le courant Tiers-mondiste, en plein essor, réclame quant à lui l’indépendance immédiate pour toutes les colonies lors la conférence de Bandung en 1955. Les Etats-Unis et l’URSS, grands vainqueurs de la guerre, luttant pour répandre leur influence à travers le monde vont-ils accepter encore longtemps le vieux monopole des Etats européens sur leurs colonies ? Et la première génération d’étudiants issue des universités européennes arrivant à maturité ne risque-t-elle pas de revendiquer une participation au pouvoir ?

Ainsi, la France entreprend-t-elle de réformer le cadre juridique qui régit son empire. En 1956, la loi Cadre confère une certaine autonomie aux colonies en leur permettant d’élire des assemblées territoriales et un conseil de gouvernement. En 1958, , rappelé au pouvoir pour résoudre la crise algérienne, propose une nouvelle constitution pour la France, celle qui donnera naissance à la Vème République dans laquelle nous vivons encore. Cette constitution prévoit notamment de regrouper les colonies dans une “Communauté française”, une sorte de fédération où les colonies n’obtiendraient, en réalité, pas plus de pouvoir qu’auparavant.Sous la pression des partis et des syndicats africains, accepte néanmoins que les colonies puissent décider, au cours de leur participation au référendum sur la nouvelle constitution, si elles souhaitent intégrer la Communauté française ou accéder à l’indépendance. Mais menace : la France coupera tout lien, et notamment toute aide économique à ceux qui refuseront. Et à l’époque, l’apport économique de la métropole n’est pas négligeable, la France investit trois fois plus en Afrique noire entre 1947 et 1958 que dans les 50 années précédentes.

Sékou Touré, celui qui a dit non

Au mois d’août 1958, De Gaulle entreprend une tournée dans les colonies afin de présenter son projet et de s’assurer de l’adhésion des leaders locaux. Les sources différent sur l’accueil qui est fait au dirigeant, on parle tantôt d’un enthousiasme général, tantôt d’une ambiance plutôt hostile. Le 25 août, De Gaulle arrive en Guinée, avant-dernière étape de sa tournée. D’après Lansine Kaba (La Guinée dit « Non » à De Gaulle, Paris, Chaka, 1989), il semble que le dirigeant ait reçu tous les honneurs dus à son rang, s’en trouvant même assez flatté…jusqu’à ce que son hôte, Sékou Touré, qui est alors président du conseil de gouvernement de la colonie, lui déclare fièrement que les guinéens préfèreront “vivre dans la pauvreté libre plutôt que riche dans l’esclavage !”

En effet, pour Sékou Touré, la Communauté telle que la définie De Gaulle n’est pas acceptable. Il réclame la création d’un pouvoir exécutif communautaire réel auquel les Etats africains participeraient au même titre que la France. Fervent défenseur de l’unité africaine et convaincu que les Etats africains ne pourront s’émanciper isolés les uns des autres, il demande aussi que les structures communautaires coloniales telles que l’ (Afrique Occidentale Française) soient maintenues. Frustré, De Gaulle rejoint Paris où il confie à son entourage qu’“on ne pourra rien tirer de cet homme là!”

“Cet homme là”, dont le caractère fier et bien trempé n’a rien a envier à l’homme du 18 juin, n’en est pas à son premier coup d’éclat contre la puissance coloniale. En 1945, alors fonctionnaire des postes, il fonde le premier syndicat de Guinée. En 1953, il prend la tête d’une grève qui parvient pour la première fois à faire plier le gouvernement français en Afrique. Son activité militante le conduit même à faire un séjour en prison en 1950. Porté par son talent d’orateur hors pair, grisé par l’enthousiasme général de la population et soutenu par le PDG (Parti Démocratique de Guinée) qu’il préside et dont le réseau développé lui permet de relayer son message dans toute la Guinée, Sékou Touré encourage les guinéens à se prononcer massivement en faveur du non.

Le 28 septembre, à l’issue d’un scrutin qui s’est déroulé, à peu de chose près, sans fraude, le “non” remporte une victoire écrasante avec 95% des voix. Sensible aux signes du destin et gonflé par la liesse populaire, Sékou Touré n’hésite pas à s’inscrire dans la lignée des grands héros africains, rappelant que 60 ans auparavant exactement, le 28 septembre 1898, les français capturaient l’indomptable après 10 ans de résistance acharnée. Mais malgré la joie et l’ivresse, Sékou Touré sait que sans l’aide économique et technique de la France, la Guinée se retrouverait dans une situation très difficile.

S’il décide d’aller jusqu’au bout, c’est parce qu’il ne pense pas réellement que la France coupera les ponts. Ses prises de positions n’ont d’ailleurs selon lui aucune résonance anti-française, il déclare dire “oui à la France, mais non au gouvernement français”. D’autre part, il croit au soutien de certaines colonies comme le Sénégal et le Niger qui semblent suivent elles aussi la voie du non…jusqu’à ce que les résultats du référendum le détrompent. Malgré l’intervention d’hommes politiques français tel que François Mitterrand (dont l’amitié avec Sékou Touré ne faiblira pas, même aux heures les plus sombres de la dictature), De Gaulle reste inflexible, il évacue rapidement tous les fonctionnaires français, met un terme aux échanges avec la Guinée et laisse les appels de Sékou Touré sans réponse.
La Guinée triomphante.

Les dés sont jetés, le 2 Octobre, la Guinée est indépendante. C’est alors qu’un formidable engouement s’empare du pays : certains se mettent au travail gratuitement pour soutenir l’Etat naissant, les étudiants guinéens à l’étranger rentrent au pays pour apporter leur aide, des intellectuels progressistes affluent de toute la sous région pour mettre au service du gouvernement, de nombreux syndicats et associations d’étudiants africains proclament leur soutien à la Guinée qui a “sauvé l’honneur de l’Afrique” et Sékou Touré est acclamé en héros lorsqu’il se déplace sur le continent.
Malgré cet enthousiasme général et l’aide matérielle et technique des soviétiques, les difficultés se font bientôt sentir. Des mécontentements s’élèvent de la population, des complots réels ou imaginés par le pouvoir vont conduire le régime à se durcir à partir du milieu des années 60 et finalement à se transformer en une terrible dictature qui plongera la Guinée dans une longue période de terreur, jusqu’à la disparition du libérateur devenu dictateur, en 1984.

Mais, en 1958, le “non” guinéen résonne à travers toute l’Afrique comme un cri de liberté et de dignité plein d’espoir pour le continent. Pour Jacques Rabemananjara, ancien ministre et héros de l’indépendance malgache : “la fermeté du geste guinéen a permis au négre à l’échine courbée de se redresser de toute sa hauteur, de se laver d’une longue souillure (…) chaque africain, chaque colonisé est concerné par la décision guinéenne”.

Posté   le 20 Sep 2008   par   biko

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