Au Sénégal, l’émigration est synonyme de réussite sociale

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Il faudrait être fou pour ne pas avoir envie de partir !» Etudiant en deuxième année de droit à Dakar, Amadou, 22 ans, n’a pas encore pris la décision de quitter le Sénégal. Mais, comme la majorité de ses condisciples, il l’envisage de plus en plus sérieusement. Amphis surpeuplés, absentéisme des profs partis enseigner en Europe, pénurie de débouchés professionnels : tout se conjugue pour faire de l’émigration le dernier espoir des jeunes.A Cannes, pour le dernier sommet France-Afrique de Jacques Chirac, l’Elysée a choisi pour thème «l’Afrique et l’équilibre du monde»,  où la question de l’émigration sous-tend toutes les discussions. Ces derniers mois, des milliers d’Africains ont tenté, au péril de leur vie, de rallier à bord de pirogues les Canaries, pour forcer les portes d’une Europe inaccessible. Beaucoup venaient du Sénégal, l’un des Etats pourtant les plus aidés financièrement par les bailleurs de fonds.

Dans ce pays pauvre, dépourvu de richesses naturelles, l’émigration est une tradition. «Ce sont les conditions de départ qui, aujourd’hui, sont spectaculaires, pas le fait de partir», note le journaliste Abdou Latif Coulibaly. Au Sénégal, l’émigration, loin d’être vécue comme un traumatisme, est considérée comme une chance. Et fait même l’objet d’un consensus politique.
Attraction. Candidat à sa propre succession, lors de l’élection du 25 février, le président Abdoulaye Wade souhaite la «réguler» : «Je ne veux pas que nos jeunes finissent au fond des océans !» clame-t-il. Comment faire ? Le «Vieux» promet des visas pour l’Espagne, pays placé en première ligne, avec l’Italie, de la forteresse Europe. Mais ses propositions paraissent dérisoires au regard du nombre élevé de candidats au départ : quelques centaines de visas seulement…
Le taux de croissance du PIB, pourtant de l’ordre de 5 % depuis 2003 et le programme de grands travaux lancé par le président sénégalais ne suffisent pas à fournir un emploi à tous ces jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail. «Pour contrebalancer un taux annuel de croissance démographique de 2,5 %, il faudrait atteindre le chiffre de 8 % de croissance économique par an», explique un économiste étranger.
Mais Ousmane Boye, responsable de l’association SOS Banlieues, insiste au contraire sur la force d’attraction persistante des pays du Nord. «A Pikine [une banlieue pauvre et surpeuplée de Dakar, ndlr], les filles attendent le retour de ceux qui sont partis en Europe et qui se font construire des maisons à Dakar. L’émigration est synonyme de réussite sociale», dit-il. Le montant des capitaux rapatriés, de l’ordre de 800 millions de dollars (608 millions d’euros) chaque année au Sénégal, est supérieur à celui de l’aide internationale.
«Déstabilisation». Mais seuls les plus audacieux partiront clandestinement pour l’Europe. «Il ne faut pas s’attendre au déferlement de centaines de milliers d’Africains sur les côtes européennes», juge un expert français, qui dénonce un fantasme de l’invasion. En revanche, ajoute-t-il, «il y a un vrai risque de déstabilisation interne dans des pays comme le Sénégal, et par ricochet de déstabilisation régionale».  «Tous ces jeunes qui font le pied de grue dans les rues de Pikine sont déjà en Europe dans leur tête», assure Ousmane Boye. Combien de temps encore sont-ils prêts à patienter ?
Posté   le 17 Feb 2007   par   biko

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