Dossier : Pourquoi les retours des immigrés Soninké dans les pays d’origine ont perdu toute « saveur »…

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Le retour au bercail est un moment de joie intense. Des fournis dans les jambes, un cœur qui bat à la chamade, telles sont les différentes sensations. L’on est même tenté de paraphraser Joachim Du Bellay :

Heureux qui, comme Soninkalémé, a fait un beau voyage,
Ou comme « Safarana » qui prit congé de Marianne,
Et puis est retourné, plein de joie et de présents,
Vivre entre ses parents le temps d’une rose !

Que de retrouvailles chaleureuses ! On retrouve la chambre maternelle, témoin d’une enfance « dorée »,sanctuaire de souvenirs. Selon le nombre d’années d’absence, on découvre de nouveaux visages .

Des bouts de bois de Dieu curieux cherchant à identifier « l’intrus » du jour, de belles sœurs au regard fuyant, des visages émaciés par la vieillesse, de jeunes adolescents au regard défiant. Les premières heures sont teintées de solennité. Quand on y débarque avec une petite famille, l’instant est unique. D’un côté, une famille heureuse de retrouver un « compartiment » de son ossature. De l’autre côté, une famille contente de mettre un visage sur des noms entendus mille et une fois dans les chaumières de Marianne. Les enfants deviennent l’attraction de la journée. Elles retrouvent une ribambelle de tantes et d’oncles prompts à les recueillir  et à les bercer. Les visages sont radieux de part et d’autre.

Après les bons moments de retrouvailles, la vie suit inexorablement son cours. On voit le temps passer. On observe. On découvre. On remarque et on note. On est ému par le défilé incessant des parents de tout horizon. Des tantes et des oncles se déplacent pour venir vous saluer. On refait les généalogies. Des cousines viennent jouer leur partition. Elles viennent aider dans les tâches quotidiennes additionnelles. Dans un jour de la semaine, une grande fête est organisée pour fêter l’arrivée de « Safarana ». Des retrouvailles familiales et amicales ! De succulents mets sont préparés. Un régal sans précédent.

Pendant tout le séjour, les gens sont chaleureux. La famille est aux petits soins. Les discussions sont intéressantes et très instructives. Des rappels historiques faits par les voisins et les amis qui chatouillent les neurones. C’est la joie et la bonne humeur. Les familles sont contentes. Certains parents se singularisent par leur générosité. Les uns vous apportent toute sorte de « boissons ». Les autres vous offrent une multitude de cadeaux divers pour fêter votre arrivée. Il peut s’agir de moutons, de coqs, de poissons…Ainsi, se fêtent les arrivées de bons dignes fils dans nos terroirs.

Nonobstant cette flopée de plaisirs et de bonnes vibrations, aussi bien les familles d’accueil que les «  Safarana » doivent revoir certaines pratiques. Des pans de notre culture s’affaissent de part et d’autre surtout au niveau des capitales.

De plus en plus le «  Safarana » est mis au banc des accusés. Beaucoup de parents créent des inimitiés sans raison, de part et d’autre. «  On ne se déplace plus pour aller saluer un « safarana » scandent-ils. Si les uns ont des raisons recevables d’autres sont justes animés par des sentiments de jalousie et de profitabilité. Dans le premier lot, on parle de la gêne due au regard des gens prompts à faire des raccourcis  envers le local qui se déplace pour aller visiter le «  Safarana ». Comme raison, on peut également évoquer le changement de comportement des «  Safarana », prompts à oublier leur récent passé. Beaucoup deviennent ingrats et vides d’humanisme à tel point qu’on ne les reconnait plus. Ainsi, les locaux préfèrent les ignorer royalement que de venir à leur rencontre. On dénombre de plus en plus de jeunes qui contournent leurs maisons d’accueil dans les moments de galère pour les locations d’appartements dans les coins huppés de la capitale. Pire, ces jeunes ne prennent même plus le temps d’aller visiter ces « soutiens » d’hier, qui n’ont ménagé aucun effort pour les accueillir  pendant une période des vaches maigres. Trop prêts de leurs sous, ils font fi des bons procédés Soninkés. Ils rompent ainsi des relations séculaires entre leurs familles et les anciennes familles d’accueil.

Dans le deuxième lot, nous faisons allusion aux « chauds cœurs ». Ce sont des gens jaloux, égoïstes qui ignorent royalement par pure méchanceté. Ils dénigrent. Ils évoquent un passé peu glorieux juste pour réduire à néant le « Safarana ». Ainsi, le «  Safarana » est décrit comme un « vantard », un «  arriviste »… Souvent, ce sont les jeunes gens de la maison familiale, mécontents, qui créent des inimitiés. Ils snobent, toisent et ignorent le « Safarana » parce que ce dernier est considéré comme un «  pouvoiriste », un « dictateur »…Souvent, non contents de l’oisiveté des jeunes due aux changements des mentalités dans les familles, le «  Safarana », nostalgique des méthodes d’autrefois tolère très mal le comportement des jeunes. Deux univers qui se regarderont en chiens de faïence.

L’autre paramètre qui ternit ces retrouvailles est l’argent. Aujourd’hui, l’argent a étourdi le monde. Quand « Safarana » débarque, il est réduit à un « Gab » ( Guichet Automatique de Billets). De tous les cotés, il est acculé par famille proche, voisins, amis. Pire, dans certaines familles, le « safara » redouble d’efforts pour contenter tout le monde avec la pression d’un père ou d’une mère très à cheval sur la culture . Dans certaines familles, le  » Safarana » est obligé de payer plusieurs tissus de wax pour les distribuer aux soeurs, tantes… C’est dire qu’il faut un budget très conséquent pour le retour au pays. Seuls ceux qui s’y rendent tous les ans échappent à cette « dictature financière ». Le premier retour au pays après des années d’immigration est très craint par les émigrés. Bon courage à ceux qui retournent pour aller se marier… Le coût du voyage avoisine facilement les 10.000.000 FCFA selon la famille de sa fiancée.

Ainsi, il est obligé de faire le tour des quartiers de la capitale pour non seulement saluer les parents mais aussi pour distribuer des billets de banque. Chose surprenante ! En effet, les rôles sont désormais inversés. Rares sont ceux qui se déplacent pour aller saluer le  » Safarana » surtout dans les capitales comme il était de coutume. C’est le  » Safarana » qui se plie en quatre, trouve un moyen de locomotion pour visiter les membres de son cercle familial et amical.  Si jamais il oublie des membres de la famille, il devient l’ennemi public numéro 1 des uns et des autres. On le traitera de de tous les noms d’oiseaux. Et pourtant, avant, l’on se déplaçait que pour aller saluer les vieilles personnes n’ayant pas une facilité de déplacement. Souvent, ces personnes, pour des raisons de coutume et de respect pour le « safarana », se déplaçaient pour venir témoigner leur joie de revoir son front après avoir vu sa nuque quelques années auparavant.  C’est dire que l’hospitalité légendaire qui prévalait dans nos contrées disparait de plus en plus.

Aussi, il faut signaler que nos maisons sont devenues vides. Selon les générations, on est à l’étroit au sein de sa propre famille. Les vieilles personnes, affables et gardiennes des traditions séculaires sont de plus en plus rares. La mort a englouti une grosse partie. Beaucoup deviennent des étrangers dans leurs propres familles. On a point de compagnie pour discuter, échanger les visions et se remémorer le passé. Les maisons sont vides. La chaleur humaine est devenue une denrée rare. On y trouve que des jeunes mariés en partance également à Dakar ou en France, des enfants de bas âge rêvant de Paris. Tout le monde est dans l’immigration ou dans les capitales ou en instance de départ. On est préssé de prendre la tangente à peine les bagages entreprosés dans la chambre d’accueil. Rares sont ceux qui s’y plaisent. D’ailleurs, ceci a crée un départ massif des maisons entieres du village vers la capitale. On a bien construit nos maisons. La nourriture y est abondante. Mais, les ressources humaines deviennent rares.

En somme, heureux qui comme un jeune Soninké, retourne dans son village natal après des années d’immigration ou comme un futur marié allant prendre son épouse. Mais, aujourd’hui, les relations basées sur l’argent et le profit a fini par donner un goût amer aux voyages familiaux aux pays d’origine.

On comprend maintenant pourquoi plusieurs parents sont restés très longtemps en terre d’immigration sans fouler le sol du village. Il y a des non dits, des réalités qui les éloignent de leur terre mère. Un changement de mentalité doit s’opérer…

*Safarana ( Voyageur )

Source : Bakelinfo.com/Samba KOITA

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