Tombouctou dévoile une partie cachée de l’histoire écrite de l’Afrique

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Quelque 200 000 anciens manuscrits qui se délitaient lentement mais sûrement dans des bibliothèques, caves et greniers de , au Mali, sont aujourd’hui systématiquement recensés, conservés et numérisés. Ces trésors inestimables, dont les plus anciens remontent au 13e siècle, témoignent que l’histoire de l’Afrique n’est pas seulement orale.

C’est à Tombouctou, cité perchée sur la crête du fleuve Niger au Mali, que sont ensevelies les clés d’une grande partie de la mémoire écrite sahélienne. C’est là qu’au 15e siècle, le commerce de l’or et du sel bat son plein, que marchands et savants s’entendent comme larrons en foire, que les 25 000 étudiants d’Afrique inscrits à l’université de Sankoré campent devant des oulémas réputés pour leur exceptionnelle érudition. C’est dans cette cité, dite « des 333 saints », que l’arrivée de certains intellectuels arabo-berbères, fuyant l’Andalousie musulmane envahie par les chrétiens, fixe pour une part l’enseignement de la langue arabe et des sciences islamiques.

En 1512, Léon l’Africain rapporte qu’on tirait plus de bénéfice de la vente du livre que de n’importe quelle autre marchandise. C’est dire la valeur de l’écrit.
Aujourd’hui, la portée politique de certains documents manuscrits est capitale, comme en témoigne le « Tarikh el Sudan » qui retrace la succession des chefs de Tombouctou au 15e siècle ou le « Tarikh el Fetash », celle du Soudan médiéval. L’existence de cet héritage réfute clairement les préjugés faisant de l’Afrique un continent de traditions exclusivement orales.

Des trésors longtemps ignorés

Mais les populations autochtones maliennes savent-elles qu’elles détiennent sous leurs pieds ou dans leurs greniers des centaines de milliers de manuscrits capitaux s’étalant du 13e au 19e siècle ? Rien n’est moins sûr. Car au nom d’une oralité africaine sanctuarisée, d’une absence de traduction due à l’inexistence de moyens (à peine 1% de textes sont traduits en arabe classique, en français ou en anglais) et d’une certaine retenue à vouloir fouiller dans la mémoire pourtant vertueuse de l’Afrique, les pouvoirs publics hésitent à exhumer ce qui ressemble à un âge d’or politique.

Qu’on en juge : traités de bonne gouvernance, textes sur les méfaits du tabac, précis de pharmacopée… Des ouvrages de droit (en particulier sur le divorce et le statut des divorcées), de théologie, de grammaire et de mathématiques s’empilent dans sous la poussière des bibliothèques privées ou de l’Institut des Hautes études Ahmed Baba de Tombouctou. Les commentaires écrits des savants de Cordoue, de Bagdad ou de Djenné y sont encore visibles. Sur des étagères grillagées, des actes juridiques portant sur la vie des juifs et de renégats chrétiens témoignent de l’intense activité commerciale de l’époque. La vente et l’affranchissement des esclaves, les cours du sel, des épices, de l’or et des plumes sont l’objet de parchemins adossés à des correspondances de souverains des deux rives du Sahara, illustrés d’enluminures en or.

Tout cela effraie. Tout cela impressionne, au point que les chercheurs sont eux-mêmes troublés par autant de savoirs disponibles. Georges Bohas, professeur d’arabe à l’Ecole normale supérieure de Lyon et un des initiateurs du programme Vecmas (valorisation et édition critique des manuscrits arabes subsahariens) constate : « On estime à 180.000 le corpus des manuscrits existants. 25% ont fait l’objet d’un inventaire et moins de 10 % d’une procédure de catalogage. 40% sont encore enfermés dans des cantines de bois ou de fer ! ». Sans compter tous ces manuscrits cachés dans les foyers familiaux dont on ne veut se dessaisir, soit par ignorance, soit pour d’inavouables raisons mercantiles.

Une fresque africaine remonte à la surface de l’histoire

Pour ceux des manuscrits qui ont pu être sauvés des insectes et de la poussière de sable, leur observation est du pain béni pour les yeux comme pour l’esprit. L’ensemble, inscrit généralement sur papier d’Orient (puis d’Italie) mais aussi sur peau de mouton, écorce ou omoplate de chameau, est souligné, expliqué, annoté à la marge ou sur le colophon, cette dernière page d’un livre ou d’une fin de rouleau de papyrus où le copiste note son nom et la date à laquelle il a achevé son travail. On y apprend, au détour d’une page, l’existence d’un tremblement de terre ou d’une violente rixe ayant perturbé les écritures.

Grâce à quelques traducteurs contemporains isolés, toute une fresque africaine remonte à la surface de l’histoire. Il n’existe aucune homogénéité dans ces textes, et pour cause : si l’écrasante majorité des manuscrits est rédigée en arabe, chaque copiste s’exprimait en fonction de ses origines (tamashek, haoussa, peul, mais aussi songhaï, dioula, ou wolof) selon une base calligraphique commune inspirée du maghribi, sorte d’écriture arabe cursive qui, par sa forme, permettait d’économiser le papier.

Comment, maintenant, imaginer cette exploration historique fabuleuse sans la participation directe des habitants, des chercheurs africains et des pouvoirs publics nationaux ? C’est tout l’enjeu politique qui se greffe autour des manuscrits de Tombouctou et au-delà, de la réhabilitation définitive de l’histoire écrite de l’Afrique.

Posté   le 17 Jun 2007   par   biko

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