Le Cran est-il encore crédible ?

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Un président critiqué, un ex-secrétaire général suspendu, un trou important dans les comptes…Simple crise passagère bénigne ou symptôme d’un malaise profond qui risque d’emporter le ? Lucien Pambou, a évoqué pour nous la crise que traverse l’association dont il est l’un des co-fondateurs
Lucien Pambou, co-fondateur du CRAN (Conseil représentatif des Associations Noires) et ancien secrétaire général de l’organisation, toujours membre du conseil d’administration, est intervenu publiquement il y a quelques semaines pour condamner les derniers événements qui ont eu lieu au sein de l’association. Edouard Nduwa, ancien secrétaire général de l’association a été suspendu à l’unanimité sur décision du conseil d’administration. Ce qu’a confirmé , président du CRAN.La raison de cette suspension ? Un « trou » inexpliqué dans les comptes de l’association ce que confirme à demi-mot : « des justificatifs pour des dépenses faites ont été demandées à M Nduwa. En qualité de secrétaire général de l’association, il a émis des chèques sans les justifier alors qu’on le lui demandait », d’où la sanction lors de la réunion du 5 juillet 2008. Le président du CRAN refuse toutefois de donner une précision importante, à savoir le montant des sommes en jeu. L’affaire est cependant jugée suffisamment sérieuse pour qu’une mise à pied ait été décidée par le conseil d’administration, que des avocats aient été sollicités de part et d’autre et que l’affaire soit portée devant les tribunaux.Patrick Lozes a démenti le fait qu’une action en justice ou une procédure judiciaire ait été intentée contre Edouard Nduwa. Contacté par nos soins, ce dernier n’a pas apporté de précisions au sujet du litige l’opposant à Patrick Lozes, mais d’après lui toutefois, « l’affaire est entre les mains de la justice ». Patrick Lozes a précisé que le CRAN avait désigné un nouveau secrétaire général, Matera Diallo.

« La tournure que prennent les événements au CRAN est une déception pour moi » confie Lucien Pambou. Pour l’ancien secrétaire général, le CRAN avait vocation à répondre, au moment de sa création, à une attente de la part des communautés noires de France. Plusieurs événements avaient coïncidé, l’incendie du boulevard Auriol, des événements en banlieue à Clichy Sous Bois…Les autres communautés étaient organisées, mais pas nous. Nous sommes partis d’une idée ‘marketing’, pour que des associations nous rejoignent. Mais nous n’étions pas structurés au départ autour d’associations. Il faut préciser que la mise en place de cette idée a fait l’objet de plusieurs rencontres entre les initiateurs du projet dans des cafés aux Halles où nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait ‘occuper l’espace’ dit-il.
Des conflits internes

Il faut bien voir que le CRAN est arrivé dans un espace un peu difficile où il y avait des gens comme Kemi Seba ou Dieudonné qui montaient au créneau et il fallait manifestement mettre en place une organisation républicaine. Elle permettait d’affirmer que nous étions Noirs et républicains. J’ai rapidement constaté que le CRAN n’était pas contrôlé par nous, mais par un certain nombre de groupes de pression qui l’ont aidé (…) je me suis posé des questions sur notre marge de manœuvre. Plus tard, les options stratégiques prises par l’association, comme la volonté de se noyer dans la « diversité », (alors que le CRAN représente la population noire), ou les débats sur les statistiques ethniques sensées mesurer la diversité alors que le CRAN lutte contre les discriminations concernant les Noirs ne l’ont guère convaincu. Le CRAN aurait pu drainer une partie de la jeunesse, le concept de « noiritude » à la française n’était pas théorisé, et comme il fallait montrer sans jeu de mot « patte blanche » auprès des institutions pour recevoir des subventions, le CRAN a dérivé vers la diversité. Le mot Noir fait peur, il fallait appeler le CRAN « CRAD », conseil représentatif des associations de la diversité ironise l’ex Secrétaire Général…

L’association a été montée avec des statuts, un bureau et une organisation qui n’auraient jamais été respectés selon Lucien Pambou Très rapidement, toujours d’après l’ancien secrétaire général du CRAN, Patrick Lozes, le président, en serait arrivé à se méfier de lui : « Pambou parle très bien, il risque de te prendre le pouvoir. Fais attention à lui » aurait t-on conseillé à ce dernier. « Très vite, tout tournait autour de deux personnes au sein de l’association, Patrick lozes et Louis-Georges Tin » -ce dernier n’a pas souhaité répondre à nos questions-, qui nous avait rejoints entre temps » dit encore Lucien Pambou. « En tant que secrétaire général, j’ai proposé la mise en place d’outils de gestion, qui n’ont jamais été acceptés par Patrick Lozes qui les voyait comme un moyen de prendre le pas sur lui. Et progressivement, la vie est devenue complètement invivable dans la mesure où il est allé jusqu’à m’interdire de m’exprimer sur la cause noire et au nom du CRAN. Je lui ai dit que nous n’étions pas dans une république bananière…Les dissensions entre Lucien Pambou et Patrick Lozes se solderont par le départ de Lucien Pambou de l’association. « J’ai été remplacé au poste de secrétaire général par Edouard Nduwa » dit-il. C’est ce dernier qui vient d’être suspendu par le conseil d’administration du CRAN…

Edouard Nduwa a confirmé qu’il avait remplacé Lucien Pambou au poste de secrétaire général du CRAN avec pour mission de « redresser l’association » : « Cela s’est fait dans la douleur car je pensais qu’il ne fallait pas faire de gâchis avec un mouvement aussi important pour la communauté noire de France. Maintenant continue t-il, il s’avère que je me suis peut-être trompé par rapport à l’objectif visé ». A la question de savoir comment des dissensions ont pu le mener à un conflit avec Patrick Lozes, Edouard Nduwa a répondu : « quand on est une association qui a trois ans, il faut faire les comptes et le bilan. » C’est à ce moment que le « problème » serait survenu. « Après avoir fait le bilan, j’ai constaté avec amertume que c’est un échec » dit-il encore. « Je ne suis pas dans la logique du règlement de compte personnel et je préfère qu’on se recentre sur les objectifs du CRAN en tant que fédération d’associations ».

Couacs, commémorations et subventions

A l’occasion des cérémonies de commémoration du 10 mai 2008, Génération consciente, l’association de Claudy Siar a organisé une marche unitaire entre république et Bastille, avec le collectif Egalité et d’autres associations regroupant diverses sensibilités. Les médias n’ont eu d’yeux que pour le CRAN, qui est passé aux yeux du grand public non informé pour celui qui avait organisé la manifestation. Certains accusent même le CRAN d’avoir voulu s’accaparer la manifestation. De fait, des chaînes de télévision ont effectivement présenté le CRAN comme « l’organisateur » des marches du 10 mai. A ce sujet, Patrick Lozès affirme « n’avoir jamais polémiqué » et ne pas vouloir le faire en répondant à ce type de critiques.

On se rappelle aussi que le CRAN avait fait l’objet de vives critiques concernant les commémorations du 10 mai 2006. Le concert que l’association voulait organiser ce jour là avait rapidement été dénoncé, et surnommé de façon peu flatteuse « le zouk du cran », plusieurs personnalités s’insurgeant contre l’organisation d’une fête pour commémorer un moment aussi grave. Lucien Pambou confirme en parlant de « couac » et précise que le montage du dossier avait été fait en vue de l’obtention d’une subvention. Le dossier en question aurait été directement négocié à l’Elysée, et la subvention accordée située entre 350 000 et 500 000 euros selon Lucien Pambou. Seulement, a-t-elle été versée puisque le concert n’a pas eu lieu, et si oui qu’est-elle devenue ? Lucien Pambou n’a pas de réponse à cette question.

Mais l’ancien secrétaire général du CRAN se plaint d’un manque systématique de clarté des comptes, d’autant que le CRAN aurait été monté en vue de devenir une association reconnue d’utilité publique, donc reconnue par l’Etat. L’association reçoit de fait des subventions venant du ministère de l’intérieur, du conseil régional (d’Ile de France ?) et d’organisations afro-américaines avec lesquelles elle est entrée en contact. « Quelle est cette organisation qui ne donne jamais en avance les comptes aux membres du conseil d’administration afin que ceux-ci puissent être analysés ? (…) Je pense que cela s’explique par la volonté de maquiller la venue des fonds, leur montant et leur utilisation » affirme Lucien Pambou qui ajoute que l’association n’a jamais publié ses comptes (1). Les administrateurs n’auraient aucun document qui leur permettant ne serait ce que de présenter les comptes de l’association depuis deux ans. On signe de facto un blanc seing au président…En tant que membre du conseil d’administration, j’ai été mis au courant de cette affaire -de trou dans les comptes- par hasard ! (…) Je trouve que devant cette situation nous ne pouvons plus nous taire. L’assemblée générale aura lieu au mois de novembre et nous sommes dans l’incertitude la plus complète sur ce qui va se passer. Je vois cependant ce qui se profile : Patrick Lozes voudra faire changer les statuts de façon à devenir président à vie du CRAN. Interrogé sur le sujet, Patrick Lozes conteste et affirme que les statuts du CRAN « sont assez clairs et qu’il est impossible qu’une seule personne puisse rester président à vie. » Selon lui, « le nombre de mandats du président du CRAN est limité à deux ».« Je ne dis pas ça pas hasard » précise encore Lucien Pambou, mais j’en ai discuté avec Louis-Georges Tin qui m’avait fait comprendre que ce serait bien que Patrick Lozes demeure président à vie. Pourquoi ? Parceque le CRAN est un « gâteau excellent » qui rapporte de l’argent, mais simplement pour ses initiateurs, Patrick Lozes notamment.

Lucien Pambou estime aussi que la crédibilité du CRAN, avec cette affaire d’utilisation de fonds non justifiée est entamée. D’abord pour les associations qui voudraient rejoindre le CRAN qui se veut être une fédération d’associations, puis par le fait qu’elle risque d’attirer l’attention des pouvoirs publics. « Sauf si Patrick Lozes réussit à faire porter le chapeau à Edouard Nduwa, à circonscrire l’incendie en jetant en quelque sorte des ‘poison pills’ et en enfonçant complètement Nduwa, en disant qu’il est responsable de tous les problèmes. En dehors de cette option, je ne vois pas comment le CRAN pourrait continuer à avoir de la crédibilité. Je n’ai pas envie de casser le CRAN, j’ai envie qu’on refasse un travail à l’envers, un travail intellectuel qui serait de théoriser le concept de la diversité. Nous devons faire un bilan et un diagnostic. Voire quel type de réponses, autres qu’institutionnelles nous pourrions apporter à la discrimination. Mais il faut constater qu’il y a eu une faillite de la pensée au sein du CRAN. »

L’avenir du CRAN ?

« J’étais dans un temps où il fallait travailler à long terme tandis que Patrick Lozès était dans un temps court, où il fallait travailler à court terme, profiter de cette tribune que représentait le CRAN. Il y avait opposition de méthode. Il est allé très vite et a réussi à avoir les médias avec lui, pour faire passer le CRAN pour un instrument représentatif des Noirs en France, ce qui est complètement faux. De fait, le CRAN tire l’essentiel de sa légitimité du retentissement que lui donnent les médias généralistes, presse écrite et télévision, mais son assise populaire est inexistante, les contacts avec la base sont peu fréquents. La représentativité du CRAN a toujours été contestée par diverses personnalités en vue de la communauté afro-antillaise, ainsi que par des militants plus anciens, et ce dès sa création. Malgré l’excellente couverture médiatique dont il a toujours bénéficié au sein des médias nationaux, couverture parfois jugée disproportionnée par rapport à la représentativité réelle de l’association. Le nombre d’associations adhérentes a été exagéré, se situant plus près de la centaine que du millier souvent annoncé publiquement.Au vu de ce tableau, l’avenir ne s’annonce pas vraiment radieux. Pourtant, avec quelques réformes bien menées, une direction et un mode de gouvernance plus démocratiques et plus transparents, un rapprochement avec la base, un nouveau CRAN pourrait renaître des cendres de l’ancien selon Lucien Pambou : Il faut nettoyer les écuries d’Augias. Il faudrait que la prochaine gouvernance se fasse sur des critères clairs en terme de statuts, que le président rende des comptes, que le conseil d’administration joue le jeu et le rôle pour lesquels il est conçu…Qu’on quitte le schéma de république bananière…

A la question de savoir pourquoi il n’a pas parlé plus tôt s’il avait autant de doutes, Lucien Pambou répond : « C’est une forme de lâcheté voulue. Je ne voulais pas être celui par qui le scandale allait arriver car on allait dire que ‘pour des motivations personnelles, je dénonçais une organisation qui venait de naître’ ».

Posté   le 10 Sep 2008   par   biko

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